Летняя школа по типологии фольклора
Federica Visani
ETUDES DE POETIQUE DES HISTOIRES DROLES RUSSES SOVIETIQUES (ANEKDOTY) DES ANNEES 70
INTRODUCTION
La production artistique orale de la ville sovietique dans les annees 70 a ete dominee par l'anekdot1 . Sans doute il s'agit d'un parmi les phenomenes les plus significatifs des annees de zastoj (stagnation), fondamental pour la comprehension de la mentalite sovietique, de l'esprit de l'epoque et surtout pour la connaissance de la meme histoire sovietique a travers le regard "anticonformiste" des gens que l'ont vecue. Une idee de l'importance de l'anekdot dans la vie sovietique nous est fournie par les mots de l'ecrivain Vik. Erofeev: "Россия - мать анекдотов. Мы создали гoсударство-анекдот. Когда позолоченный пафос сходит, остается один анекдот." 2 [Erofeev, 1999: 77]. Cette definition de la Russie comme d'un Etat-anekdot nous transmet clairement l'atmosphere de froide desillusion et de cynique realisme propres aux annees de Breznev, quand l'enthousiasme eprouve a l'egard de la construction du communisme avait laisse la place a la prise de conscience de l'absurdite du byt. La nature paradoxale de la realite, caracterisee par la coexistence de deux logiques, le reel et le quotidien, parfois opposees, bien s'adaptait a la forme de l'anekdot, qui de ce paradoxe se voulait le reflet, son fonctionnement consistant dans l'inversion de toute logique. L'anekdot n'est pas simplement le reflet de la realite, il devient plutot son signe: cette assertion est justement le point de depart de la demarche choisie dans mon approche a ce genre.
Les etudes sur l'anekdot datent recemment. En epoque sovietique, en effet, l'anekdot etait classe parmi les genres antisovietiques et l'interdiction pesait alors non seulement sur sa production mais aussi sur les etudes a son propos. L'anekdot devint matiere de recherche uniquement au debut des annees 90, a la suite de la chute de l'Union Sovietique et consequemment de l'enorme apparat de censure, sur lequel se tenait en vie le systeme entier. Le marche du livre fut alors litteralement envahi par recueils d'histoires droles sur des themes differents, qui jusqu'a present continuent a jouir d'une popularite extreme. Peu a peu commencerent aussi a apparaitre des etudes scientifiques a propos de l'anekdot, cependant limites a une analyse plutot generalisante de la matiere, comme les articles de Z. Abdullaeva, E. Draitser et Z. Dolgopolova, qui se concentrent sur l'analyse du anekdot surtout comme phenomene socioculturel. Auteurs d'une serie d'articles dedies aux differents cycles d'histoires droles russes sont les folkloristes A. F. Belousov et V. Lur'e, alors que la tentative, meme si plutot confuse, d'elaborer une poetique de l'histoire drole vient de E. Kurganov. Ce dernier est auteur de plusieurs travaux sur l'histoire drole, dans lesquels il ne se soucie cependant pas de separer l'etude de l'anekdot de celui de l'histoire drole en general, separation non tant souhaitable, quant plutot necessaire, etant l'anekdot un genre "mort", genetiquement lie a la periode sovietique et influence dans son fonctionnement par elle. La presence des recherches dans le domaine du folklore contraste avec l'absence presque totale d'etudes de type linguistique sur l'histoire drole russe en general et sur l'anekdot en particulier. L'approche linguistique a l'histoire drole comme genre a ete fonde par V. Raskin et developpe par S. Attardo et de nombreux chercheurs d'outre mer, alors que parmi les slavistes les seuls noms a retenir sont ceux de Elena et Aleksej Smelevy, auteurs d'une serie d'articles, dedies surtout aux aspects stylistiques de l'anekdot et a son fonctionnement dans l'acte communicatif, et Vladimir Karasik qui propose un approche semiotique a la matiere.
Comme deja esquisse avant cette breve digression sur les recherches existantes a propos de l'histoire drole, le point de depart de mon analyse concerne la nature de l'anekdot comme de signe de la realite. Pourquoi signe? La reponse est evidente: l'anekdot represente des scenes tirees de la realite mythologisee de la propagande, qui, pourtant, dans le final recoivent une interpretation nouvelle, qui ignore completement la codification des circonstances enoncees. Cette indifference a l'egard de la codification est causee par le fait que ces memes circonstances, en realite, sont travesties par l'insertion d'elements troublants, qui les transforment en cadres non codifies. Les faits racontes sont alors interpretes a nouveau sur la base d'un mouvement d'abduction et il leur est attribue un sens autre par rapport a celui originel. Si cette nouvelle interpretation est partagee, le destinataire reagit a l'anekdot par le rire et forme avec ceux qui ont eu la meme reaction une sorte de communaute, a l'interieur de laquelle l'anekdot acquiert le valeur de signe du byt. Un signe peut etre analyse sous trois differents points de vue: semantique, pragmatique et syntactique. Dans ce memoire la demarche choisie est celle semantique, visant a mettre en evidence les rapport entre le signe et son objet.
Le memoire se divise en trois chapitres. Le premier chapitre est dedie a une serie de considerations generales sur l'anekdot. Une description du contexte socioculturel ou il circulait est necessaire, car elle explique la position de l'anekdot a l'interieur de ce contexte, ainsi que le pouvoir de socialisation et conspiratif propre a ce genre. L'acte communicatif, dont sont protagonistes les anekdoty, la performance, est ainsi analyse: on prend en consideration les positions du ispolnitel' et du slusatel' a l'egard du texte et par rapport l'un a l'autre. Dans ce premier chapitre est aussi presentee la theorie generale de l'anekdot comme signe. Les deux chapitres suivants sont une demonstration de cette theorie, visee a mettre en evidence le fonctionnement semantique des anekdoty sur les personnages politiques (chapitre II) et sur le kanceljarit ("burocratais") (chapitre III). L'ampleur de l'argument par rapport aux limites imposes par un travail de recherche de petites dimensions dicte le choix de ces deux categories d'anekdoty: ne pouvant pas etendre l'analyse a tous les cycles d'anekdoty, j'ai choisi les deux que j'estime etre les plus significatifs. Les leaders politiques et le langage officiel, en effet, etant les "categories" les plus mythologisees par la propagande, bien servent d'illustration de l'epoque. On cherchera a montrer comment le rapport entre l'anekdot et le monde passe a travers une deformation de ce dernier et quels sont les mecanismes a la base de cette deformation. En plus, dans l'analyse des textes on n'oubliera pas d'en considerer la forme purement linguistique, d'un cote les differents styles et registres utilises, de l'autre les calembours fonctionnels aux jeux semantiques.
Etudier un genre, comme l'anekdot, oral et lie a une epoque passee pose le probleme du reperage de sources valides de materiel pour l'analyse. Malgre les nombreux recueils d'histoires droles imprimes aujourd'hui, la difficulte consiste dans le discernement, a l'interieur de cette apparente abondance de materiel, de textes ayant une certaine valeur, dans le cas de mon analyse, de textes reellement racontes pendant les annees 70. A ce probleme s'ajoute la nature indiscutablement orale de l'anekdot, un element fondamental pour la poetique de ce genre, contribuant a son correct fonctionnement, susciter le rire. Le plaisir apporte par la lecture d'un recueil d'anekdoty est, en effet, limite et disparait au fur et a mesure que la lecture avance, car le pouvoir comique d'un anekdot ecrit est nettement inferieur a celui d'un anekdot represente. L'anekdot est, en effet, un genre oral qui partage avec le theatre populaire l'art de l'improvisation et de la recitation, de facon que le texte est represente plus que raconte et les personnages s'expriment par le langage qui leur est propre. L'anekdot ne peut pas etre analyse en dehors de sa performance, et le chercheur doit alors utiliser du materiel oral ou bien des transcriptions fideles de textes oraux. Le materiel dont je me suis servie est de deux types. Le premier consiste en un recueil d'histoires droles avec le titre de 1001 izbrannyj sovetskij politiceskij anekdot, publie pour la premiere fois aux Etats-Unis en 1986. Les textes du recueil sont les transcriptions faites par Ju. Telesin des anekdoty entendus au cours des annees 70 et publies seulement apres son emigration de l'URSS. La valeur de ce materiel est enorme par rapport a des recueils du meme type [Barskij, 1994; Sturman, Tiktin, 1989], qui, bien que riches d'un point de vue thematique, possedent une valeur linguistique limitee, se traitant de textes soumis a une operation de redaction, donc de nivellement du texte a la norme linguistique standard. Cette operation prive l'anekdot, en tant que genre oral, d'un de ses traits fondamentaux: les caracteristiques du langage parle, avec son melange de style et de registres. Le recueil de Telesin, au contraire, se compose de textes qui resultent etre la transcription des anekdoty, tels qu'ils etaient racontes. Telesin s'efforce de reproduire, dans les limites possibles d'un texte ecrit, l'intonation, jouant avec les signes de ponctuation, la langue vive utilisee, du langage parle, au prostorec'e, mat, kanceljarit. La deuxieme partie du materiel analyse consiste dans les anekdoty que j'ai transcrit personnellement a travers des interviews a citoyens de la Federation Russe, ages de 18 a 50 ans, de Moscou, Saint Petersbourg et Pskov, pendant une periode comprise entre Fevrier-Juin 2000 et dans de situations typiques de la production d'anekdoty, comme les soirees entre amis, les voyages par train, etc. Enregistrer ces textes m'a permis non seulement d'assister a la performance, mais aussi de recevoir une confirmation de la validite du recueil de Telesin, car pour la plupart des cas il s'agit de variations de memes anekdoty.
CHAPITRE I
L'ANEKDOT. CONSIDERATIONS GENERALES
L'anekdot a ete un phenomene unique a l'interieur de la culture russe sovietique des annees 70. Ce chapitre est justement dedie a une presentation generale du anekdot visee a mettre en evidence les liens etroits qui unissaient ce genre aux annees 70, son existence exclusivement orale, sa fonction de signe du byt et enfin la performance, a l'exterieur de laquelle l'anekdot ne peut etre en aucun cas analyse.
1.1 L'ANEKDOT ET LES ANNEES 70
L'anekdot est au centre de la production artistique orale russe de la ville, le post-folklore3 , et caracterise les conversations quotidiennes en tant que genre du discours oral qui se construit selon les regles de genre des textes folkloriques, plus precisement du theatre populaire. Avant de commencer toute analyse, il est necessaire encadrer l'anekdot dans le contexte socioculturel ou il circulait, les annees 70, auquel il est lie de facon presque "genetique". L'anekdot, en effet, dependait si etroitement du byt particulier de l'epoque, qu'a la suite de la chute du regime il cessa completement de circuler.
Chaque epoque a ses propres histoires droles. Quand a partir du XVIII siecle l'anecdote commenca a circuler en Russie4 , en forme orale et ecrite et publie sur revues, il se presentait comme une histoire vraie et realiste a propos de personnages connus et des episodes singuliers et insolites mais en tout cas veridiques, dont ils avaient ete protagonistes. Au meme temps, a cote de ce genre d'anecdotes "litteraires" ou "historiques", circulait aussi un autre type d'anecdote d'origine populaire, le narodnyj anekdot, dont la transmission etait evidemment orale, les tonalites sarcastiques et les contenus inventes et qui avait evolue des contes mythologiques sur les ancetres demiurges et sur leurs doubles demoniaques, canailles et escrocs. Apres la revolution de 1905 et a la suite de l'apparition sur la scene sociale de nouvelles categories, typologie et thematique de l'anecdote subirent un brusque changement. La politique devint un des themes les plus frequents et l'anecdote se transforma en arme puissante pour denigrer les adversaires, jusqu'a ce que, avec la creation en 1922 du Glavli5t et la consequente introduction du systeme de la censure sur tout le materiel destine a la publication, l'anecdote ne fut relegue qu'a une existence exclusivement orale et clandestine. Alors le narodnyj anekdot prevalut sur le literaturnyj en devenant un recit bref et comique caracterise par un final mordant et inattendu.
Les histoires droles sont toujours le produit d'une epoque bien precise, qui ne se limite pas a les generer et a en conditionner la diffusion mais laisse en eux son emprunte indelebile, la marque du temps, auquel ils ont appartenu. En general toute la periode sovietique a ete constellee par des histoire droles:
(...) с самого Октября психика советского человека начала защищаться насмешкой, как созданием антисоветских анекдотов, так и чисто словесным переосмыслением советских аббревиатур, лозунгов и программ. ... Его переосмысления, его анекдоты - они зеркало жизни. И при этом - не кривое. [B. Filippov in Qturman, Tiktin, 1992: 11].
L'humorisme politique est, en effet, typique des dictatures soi-disant productives, caracterisees par l'imposition d'une ideologie et par la consequente soumission forcee des citoyens a elle, ce qui equivaut au controle des esprits de la part du pouvoir [Benton, 1988: 34-36]. Cependant, l'aneantissement d'Etat de la libre volonte suscite une reaction humoristique seulement en presence de certaines conditions autres, concernant d'une part les possibilites "logistiques" de sa realisation et de l'autre les sentiments eprouves par les partisans de cette reaction a l'egard de l'objet de leur humorisme. V. Propp en Problemy komizma i smecha [Propp, 1999] soutien que le rire s'alimente de petits defauts humains, physiques et caracteriels, qu'on decouvre a l'improviste et qui ne suscitent aucun sentiment fort, car pour qu'il y aie humorisme, la dimension emotive doit se taire et laisser la place a une certaine indifference au niveau des sentiments eprouves vers l'objet du rire. Pendant la dictature sovietique il y eut des moments pas du tout favorables a la circulation d'anekdoty, comme par exemple sous la Terreur de Staline, quand une reclusion dans les camps de concentration etait assuree meme a ceux qui se tachaient d'avoir simplement raconte une blague. Le declanchement de la reaction populaire a l'oppression et surtout a l'absurde de la vie en URSS sous forme d'anekdoty eut, en effet, lieu seulement quand l'absurdite de l'utopie sovietique devint evidente et aux sentiments d'enthousiasme et de terreur a l'egard du pouvoir se substitua une sorte d'indifference.
Une situation pareille se crea pendant les annees 70, l'age d'or de l'histoire drole, des legendaires Armjanskoe Radio, Xapaev, Anka et Pet'ka, Rabinovic et Abramovix, de Vladimir Il'ic, de dorogoj Leonid Il'ix et de nas Nikita Sergeevic, de tous les heros inoubliables des histoires droles sovietiques, produits de la fructueuse cooperation entre realite historique et imaginaire populaire. L'epoque de zastoj6 fut profondement marquee par l'eclat de l'histoire drole comme genre le plus cultive par le peuple sovietique entier. Si l'andergraund7 , la diffusion du Samizdat et la dissidence etaient des phenomenes, bien que representatifs de l'epoque, limites a certaines categories sociales, notamment l'intelligencija, l'anekdot ne connaissait bornes dans sa diffusion et, un peu comme le Samizdat, contribuait a la circulation de pensees et idees differentes, en se proposant comme "(...) андерграундом массовой культуры, ее, можно сказать, авангардом." 8 [Abdullaeva, 1993a: 115].
Les raisons a la base de ce phenomene sont innombrables et doivent etre recherchees dans le contexte socioculturel de l'epoque9 . Sans doute l'amelioration generale des conditions de vie en URSS a joue un role non secondaire dans le changement des coutumes des citoyens et de leur attitude envers le pouvoir. Une certaine aisance, par rapport aux annees precedentes, se diffusait progressivement. Les sovietiques commencaient a voyager a l'etranger comme jamais n'avaient eu la possibilite de faire, en profitant des put'evki, les voyages organises par les syndicats dans les pays allies du bloc socialiste, qui leur permettaient de prendre conscience de la superiorite de la qualite de la vie meme dans les pays ideologiquement affins. La construction massive de logements permit a la majorite des citoyens d'abandonner la vie en cohabitation dans les kommunalki10 pour demenager dans des appartements individuels, ou, grace a l'adoucissement des controles sur la societe et sans devoir plus se soucier des voisins prets a ecouter les conversations autrui, on restait bavarder dans les cuisines minuscules jusqu'en pleine nuit. On discutait du systeme politique, economique et social du pays, on se racontait des histoires droles, on ecoutait les radios etrangeres clandestines et les chansons interdites des bardes: c'etaient les fameuses moskovskie kuchni (cuisines moscovites), la ou commenca a surgir la reflexion critique a l'egard de la propre societe.
Personne ne croyait plus aux contes doucereux de la propagande et encore moins a la possibilite de construire le communisme, promis par Chruscev11 et deja officiellement substitue par l'etape a surprise du Tard Socialisme. Tout le monde etait conscient du fait que desormais le byt etait devenu paradoxal, que la realite ne correspondait point a l'image officielle qu'on donnait d'elle et que pendant les rituels solennels, ou le peuple se fondait avec le pouvoir, ou la realite de la propagande venait triomphalement declaree la seule existante, ou le pouvoir recevait sa confirmation d'eternite, il fallait jouer dans cette farce gigantesque le propre role de citoyen consciencieux, honnete travailleur, loyal a l'egard de la patrie et du parti. Le parti desormais ne pretendait de son peuple plus qu'un faux soutien et un enthousiasme hypocrite. Voila alors la foule cacher sous manifestations d'enthousiasme collectif, symbolise par les fameux burnye aplodismenty (vifs applaudissements), cliche indispensable des comptes-rendus des evenements officiels, sa complete indifference a l'egard de ce monde:
(:) the late socialist subject experienced official ideological representation of social reality as largely false and at the same time immutable and omnipresent. In such conditions it become irrelevant for subjects whether they believed official ideological messages or not. Instead the relation to the official representation became based on intricate strategies of simulated support and on "nonofficial" practices behind the official scenes (:)12 . [Yurchak, 1997: 162].
Cependant l'etat d'ame de l'homo sovieticus moyen pendant les annees 70 etait de bonheur et d'apaisement, car effectivement on vivait mieux13 . Conscient de l'inutilite de s'engager dans des actions de proteste contre l'Etat tout-puissant, il preferait se taire et faire semblant de soutenir le pouvoir pour ne pas perdre le bien-etre et la tranquillite gagnes apres des annees de sacrifices et de souffrances. En fait, malgre la majeure liberte, les annees 70 on ete caracterises par une grande rigidite ideologique et par l'etouffement de toutes voix alternatives par des mesures, bien que moins extremes que celles en vigueur sous Staline, non negligeables: la perte du travail, l'expulsion de l'universite, la prison ou, typique pour l'epoque, un sejour dans une psichuska (asile) avec la diagnose de kompleks reformatorstva (complexe de reformisme) [Miljukov, 1999: 111], justifiee par le fait que ceux qui critiquaient la vie dans "le meilleur des mondes possibles" ne pouvaient etre que des fols.
L'apparente passivite du citoyen sovietique et son indifference vers tout ce qui se passait autour de lui se transformaient en un flux intarissable d'anekdoty, inspires de la meme realite sovietique, qui composaient le cycle gigantesque de la prekrasnaja epocha (epoque merveilleuse) avec un seul protagoniste - l'homo sovieticus. Du reste quel sujet aurait pu etre plus indique que celui-ci ? La realite sovietique et ses habitants etaient suffisamment paradoxales et anecdotiques pour devenir les motifs thematiques ideaux des anekdoty et le citoyen "producteur" se rapportait a eux avec assez de distance pour rire d'eux et en faisant cela se detacher de la realite absurde.
1.2 LE RIRE EST INTERDIT
L'anekdot sovietique a ete profondement influence dans son fonctionnement par le contexte socioculturel de l'epoque, au point de pouvoir le classifier comme un genre a part meme dans la categorie generale des histoires droles, ou il se presente comme "(:) ту жанровую разновидность анекдота, которая существовала в отечественной устной словесности во времена советской власти." 14 [Smolickaja, a]. Ce qui marque profondement l'anekdot et le distingue des histoires droles en general est son humorisme typiquement antisovietique, cause directe de son existence exclusivement orale.
Si aujourd'hui en Russie les histoires droles sont publiees en recueils et peuvent circuler librement, en beneficiant de cette facon d'une double existence, orale et ecrite, pendant les annees 70 l'anekdot ne connaissait qu'une existence inevitablement orale, qui lui permit de survivre a l'interieur d'une societe sans aucune liberte d'expression, ou il agissait "a la barbe" de la censure. En effet l'anekdot avait ete completement banni de la societe et de la culture et l'interdiction a sa production etait rigide au point que raconter un anekdot equivalait a se charger du crime de diffamation et de propagande antisovietique, puni sur la base de l'article 58/10 du Code Penale de la Republique Federale Socialiste Sovietique Russe15 . Si officiellement l'histoire drole etait critiquee, parce que "(...) само существование анекдота считалось недостойным пережитком прошлого, а анекдот - жанром "мещанским" со всеми коннотациями этого слова в советской официальной культуре. (...)"16 [Smolickaja, a], en realite les motivations a la base de son interdiction bien depassaient l'imputation de vestige du passe, liee evidemment a son origine aristocratique et a son developpement pendant les siecles en tant que genre de la conversation de salon, et concernaient le phenomene plus vaste des rapports entre serieux et rire dans la societe totalitaire sovietique.
Le rire et le comique au niveau de la vie officielle et du comportement officiel du citoyen etaient totalement absents et a leur place on ne trouvait que " (:) A chilling seriousness and iron discipline (:). Solemnity is confirmed as the only mode for expressing all that is vital, significant and important, and this seriousness shades into fear, veneration and submissiveness. (:)"17 [Dolgopolva, 1981 : 4-5], ce qui fait echo aux mots de M. M. Bachtin a propos de la societe du Moyen Age: "Власть, насилие, авторитет никогда не говорят на языке смеха." 18 [Bachtin, M., 2000]. A exception de solennite, tragique ou optimisme, n'etaient acceptables d'autres attitudes a l'egard d'un officiel qui presentait les traits du sacre et qui en aucun cas n'aurait pu etre objet du rire, peine sa profanation. Le serieux etait devenu un systeme, duquel le rire etait completement exclu sauf dans les cas du soi-disant "rire d'Etat", comme l'invective satirique contre les ennemis de la patrie et les vices sociaux de la revue Krokodil, ou le rire avait des finalites propedeutiques. Le rire ne pouvait donc exister qu'au niveau officiel sous le controle du parti, comme arme pour denigrer l'adversaire et susciter chez le citoyen un sentiment d'aberration envers corruption et amoralite. Il n'avait pas reussi a echapper a l'utilitarisme qui marquait la culture sovietique officielle, finalisee soit a diffuser la doctrine d'Etat, soit a denigrer tous ceux qui a cette doctrine ne se conformaient pas et il avait ete prive de sa fonction traditionnelle d'amuser tout court, car " (:) laughter is hard to control in an imaginative work. (:) " 19 [Draitser, 1989b: 121].
L'anekdot, au contraire, etait l'incarnation du rire incontrolable qui s'alimentait des contenus memes de la realite sovietique, en ne se contentant pas de violer l'interdiction au rire finalise a soi mais en poussant son rire jusqu'a attaquer directement la mythologie sovietique: il s'inspirait de l'histoire, de ses protagonistes, de ses evenements, sans se laisser rien echapper. Tout aspect du byt lui interessait et il ne permettait pas aux faits de la vie de disparaitre peu a peu dans l'abime de l'oublie: il les reproduisait en leur donnant une existence nouvelle, qui suivait les regles du monde carnavalesque, ou la seule logique possible est celle du contraire [Bachtin, M., 2000]. Et, en effet, la valeur de l'histoire drole reside "на самом парадохе, на выворачивании наизнанку логики обыденной реальности." 20 [Meletinskij, 1990: 27], qui caracterise l'image du monde qu'elle transmet.
1.3 LE POUVOIR "CONSPIRATIF" DU ANEKDOT
Le fonctionnement des histoires droles est situationnel: en tant que genre-parasite de la conversation, l'histoire drole est racontee pour enrichir le developpement d'un theme affronte pendant la conversation. Au contraire, "(...) рассказывание СА, как правило, самоценно само по себе. (...). " 21 [Smolickaja, (a)]. En effet, pendant les annees 70, au moment ou la circulation des anekdoty atteignait ses records, la pratique etait de travit' anekdoty. Cet idiome designe un type particulier de conversation entre amis dans une atmosphere de confiance reciproque, pendant laquelle l'anekdot est le genre du discours choisi pour la communication et "(...) рассказывается сразу много анекдотов, следующих друг за другом по ассоциации. (...)"22 [Smolickaja, (a)]. L'existence clandestine et hors-la-loi de l'anekdot ne lui permettait pas du reste de se situer spontanement au cours d'une conversation, suscite par un contexte particulier qui donne l'input grace auquel le texte peut etre recupere dans la memoire, ou il semble etre conserve sous forme schematique et classifie par mots-cle23 . Dans le cas du anekdot, etant le contexte absent, le mecanisme associatif a la base du reperage du texte ne peut avoir valeur qu'entre les anekdoty memes qui se succedent stimules par semantique ou structure communes.
L'anekdot presuppose que les participants au proces de sa production partagent automatiquement la meme image du monde, car posseder le meme systeme de valeurs et de connaissances est la condition indispensable a la comprehension du sol' anekdota24 , construit sur le travestissement du reel. L'identification de l'argument affronte et consequemment des valeurs transmises est compliquee par le laconisme extreme du texte et par le haut degre d'informations laissees implicites, qui mettent en risque le correct fonctionnement du anekdot. En plus, sa nature de breve representation theatrale, jouee par un seul acteur sans masques ni decor, force a remplacer les outils absents par des images verbales, composees de cliches. Personnages, evenements, lieux, situations et idees y sont evoques sous la forme de cliches, qui rendent possible le "(...) функционирование анекдота в определенной языковой среде. Анекдот понятен слушателям потому, что им знакомые и внешние характеристики персонажей и клишированные модели построения анекдота. (...)"25 [Qmeleva, Qmelev, (b)], les cliches permettent l'identification immediate de l'argument du texte. L'anekdot se construit alors totalement sur des images stereotypees, en preferant la caracterisation exterieure a celle psychologique, ce qui est tout a fait logique, car generalement ce qui permet de reconnaitre un individu ou un lieu sont d'abord les traits exterieurs lies a la memoire visuelle du destinataire. Par exemple, la ville d'Odessa s'associe toujours au bordel et a tetja Pesja (tante Pesja); l'agitateur politique au kolkhoz et aux slogans de la propagande; Chruscev aux usi (oreilles) a feuille de chou; les agents du KGB a la krasnaja knizecka (livret rouge); Breznev a la spargalka (aide-memoire); Rabinovic au cliche linguistique razve (peut-etre que).
Partager les memes valeurs et, grace a cela, percevoir l'effet comique cree par la mise en ridicule de ces valeurs implique la creation a l'interieur de la macro societe d'une micro societe d'elus, unis par la meme vision du monde. L'anekdot semble etre alors le resultat d'une entente secrete entre l'individu qui raconte et celui qui ecoute: le haut degre d'informations implicites et le jeu avec les signes du reel font que a comprendre soit l'individu appartenant au monde sovietique et partageant la meme vision du monde transmise par l'anekdot. Le rire qui conclut le texte indique que l'image du monde proposee est partagee, ce qui implique la creation d'une societe secrete, dont les membres sont les posvjascennye (inities), l'histoire drole - la pratique d'initiation et les valeurs qu'elle propose - ce qui les uni. En epoque sovietique le pouvoir unificateur du rire se manifestait avec une evidence particuliere, au point que raconter des anekdoty equivalait a devenir membre d'une sorte de conspiration, car "(...) Анекдот - это особая интонация, карнавальное настроение, объединяющее собравшихся за столом (на кухне, в курилку, в купе поезда) людей. (...)"26 [Abdullaeva, 1993a : 119].
L'image du monde vehiculee par l'anekdot ne correspond cependant pas a celle diffusee par la propagande, par rapport a laquelle elle presente les traits d'une histoire inedite sur personnages et evenements tres connus. Malgre le caractere alternatif de l'information transmise, raconter anekdoty n'est pas un acte d'opposition au regime mais signifie etre porteur d'une pensee differente: rire a un anekdot equivaut a devenir en quelque sorte inakomysljascij (dissident) et sujet aux persecutions de la part du regime. En effet l'anekdot est une sorte de Samizdat, oral et populaire, libre des maillots de la censure, qui, en tant que voix alternative s'oppose a la monopolisation et a la manipulation de l'information de la part du parti.
Si l'anekdot est la condition pour la creation d'une societe d'individus solidaires entre eux et donc moyen d'integration sociale, automatiquement il est aussi un facteur d'exclusion du groupe de ceux qui ne comprennent pas son sol' et consequemment n'en partagent pas les valeurs. Il vaut de soi que le particulier humour antisovietique, profondement lie a un substrat culturel precis et souvent cryptique, ne puisse pas etre compris par ceux qui sont exterieurs a son byt, en premier lieu les etrangers. En realite pour l'anekdot les vrais neposvjascennye, ceux que par l'humour on cherche a exclure du groupe cree, sont les representants du pouvoir sovietique, dans les histoires droles but de la derision et traites a la maniere d'une minorite ethnique, de laquelle on cherche a prendre les distances a cause de son "inferiorite". En effet en URSS, malgre le mosaique ethnique qui caracterisait la societe, les histoires droles racontees pendant les annees 60 et 70 etaient pour la plus part de theme politique, car ":all ethnicities were perceived as sharing a common fate. Popular humor of that time targeted primarly members of the ruling elite, in numerous political joke." 27 [Draitser, 1998: 154] et tres souvent on se servait meme de procedes typiques de l'humour ethnique, vises a etablir une division entre la majorite et la minorite "stupide".
1.4 L'ANEKDOT COMME SIGNE
L'anekdot est le signe de la realite sovietique.
Chaque texte est inspire par la vie sovietique et surtout par ses idiotismes, a savoir le dedoublement du byt en deux spheres separees, le rituel et le quotidien, parmi lesquelles se deroulait l'existence du citoyen28 . La sphere de l'officiel presentait les traits du eternel, du sacre et de l'immuable, etant fixee autour de mythes cosmologiques, qui pretendaient decrire la realite et en expliquer le fonctionnement. Le totalitarisme sovietique, en effet, avait transforme son ideologie en mythologie29 , dont la quintessence concernait la realisation de l'utopie communiste, une sorte de carstvo Bozija (regne de Dieu) en terre, en version athee, qui faisait de la societe sovietique une societe indiscutablement parfaite et de son habitant un homme par definition heureux. Le proces de mythologisation de la realite avait commence le lendemain de la Revolution d'Octobre, explique par le fait que "Если современность непривлекательна, то нужно создать образ светлого будущего." 30 [Bachtin, V., (a)]. En effet, comme les aspects positifs du byt n'etaient si nombreux au point d'en compenser les cotes negatives, le regime cherchait a gagner le soutien du peuple par les promises d'un avenir radieux, recompense finale a toutes ses fatigues et souffrances, et par des mythes fabuleux sur l'egalite, la fraternite, le bonheur, qui, au lieu d'expliquer la realite, se substituaient a elle afin de diriger l'inconscient collectif et le comportement des masses vers l'acceptation du nouveau modele du monde [Toporkov, (a)]. La mythologie imposait une image du monde absolue et unique, qui ne correspondait pas a la vie reelle mais etait quand meme legitimee par des fragments de vie officielle, des rituels fort symbolises, comme les parades militaires, les processions du peuple en marche avec les portraits des leaders, les reunions du parti, le monumentalisme e l'art du realisme sovietique. Ses motifs fondamentaux ("mythologuemes") forment un systeme binaire d'oppositions, dependantes de deux champs semantiques antithetiques "sovietique" (svoj) et "capitaliste" (cuzie), le premier connote positivement et le deuxieme negativement. Parmi les principaux on pourrait mentionner: l'Etat sovietique est le premier Etat de travailleurs au monde, modele pour tous les autres, une sorte de paradis-forteresse attachee par les ennemis, d'ailleurs responsables des problemes internes; le citoyen sovietique est le travailleur du choc, toujours pret au sacrifice, aux souffrances et aux punitions, car tout cela apparait comme un chemin de redemption necessaire pour atteindre le but du svetloe buduscee vsego celovecestva (avenir radieux pour toute l'humanite); le marxisme est la nouvelle foi, qu'il ne suffit pas connaitre mais en elle il faut croire et les ?uvres classiques du marxisme-leninisme sont la nouvelle Bible; les chefs politiques sont des etres superieurs qui connaissaient la verite absolue du monde car tous descendent directement du dieu createur Lenine vecno zivoj (eternel vivant), hero culturel, demiurge du nouveau monde.
Cette mythologie, qui avait ete transformee en systeme pendant les dures annees de la Terreur, survivait aux annees 70, malgre la destalinisation et la perte de la foi en l'ideal communiste. Pendant l'epoque de zastoj elle fonctionnait plutot par inertie: devenue desormais decoration sordide d'une realite autant sordide, un ensemble de mots, discours, rituels et comportements, qui se repetaient inchanges et vides de leurs sens, personne n'y croyait plus. Et pourtant, malgre la conscience de la faussete de ses contenus, les aspects de la realite qui ne rentraient pas dans son systeme descriptif etaient consideres comme inexistants, car le totalitarisme sovietique conferait a l'ideologie mythologisee "(...) абсолютную истину, считая любые другие взгляды в лучшем случае ложными а в худшем враждебными." 31 [Toporkov, (a)].
Les mythologuemes, avec les evenements historiques principaux, constituent les motifs thematiques a la base des anekdoty. Les anekdoty s'inspirent totalement des textes culturels officiels et mettent en scene un evenement qui se veut la transposition d'un fait qui a eu lieu a l'interieur de l'espace du rituel ou bien traitent d'une question a l'ordre du jour. Le texte, en effet, commence comme un texte officiel quelconque, ou l'action apparemment se denoue selon le canevas ecrit par la propagande. Le denouement de l'intrigue, deja developpe dans un avant texte officiel, est connu au destinataire du anekdot, etant les notions concernant l'evenement en question enregistrees et codifiees dans la tradition rhetorique sovietique et faisant partie du bagage culturel du destinataire. Toutefois, l'intrigue suit son denouement traditionnel seulement jusqu'a un certain moment, plus precisement jusqu'au final, quand il prend une tournure inattendue et autre par rapport a celle originelle, en provoquant chez le destinataire un effet d'attente decue, qui est a la base du comique. La tournure imprevue du final confere a l'image decrite par l'anekdot un sens autre de celui initial, de facon que la valeur semantique de la premiere partie du texte est remise en question par la nouvelle interpretation qui se substitue a elle. Donc le texte du anekdot est le resultat d'une double construction semantique: de la meme image sont fournis deux interpretations, dont la premiere est implicite, car propre a l'image et maitrisee par le destinataire au niveau inconscient, alors que la deuxieme est tout a fait revolutionnaire et eclate de facon spectaculaire dans le final en bouleversant la precedente et en faisant de la situation representee le signe carnavalesque de la realite.
Le final ou punch line [Attardo, 1993; Raskin, 1985] explicite le mecanisme du anekdot. Ce mecanisme correspond au bouleversement du systeme semiotique officiel, dont les valeurs, la semantique et la logique, apparemment a la base de la premiere partie du texte, sont reinterpretes et de la meme information officielle ont laisse eclater les cotes officieux. Contenant une information nouvelle, le pouvoir semantique du final est bien superieur au reste du texte, qui au contraire se limite a transmettre l'information traditionnelle. L'instabilite semantique du anekdot et le devoilement soudain d'un sens autre cache dans un texte apparemment "normal" permettent de comparer le fonctionnement du anekdot a celui de la soi-disant ezopovskij jazyk (langue d'Esope), dont le mecanisme du govorim odno, podrazumevaem drugoe32 permet de le comparer a une sorte d'affirmation euphemistique qui sous-entend un sens autre que celui superficiel. Cela pour eviter la nomination directe de questions tabous et ainsi echapper au controle de la censure. De meme que le langage esopique, l'anekdot sous les apparences d'un texte normal cache un bouleversement total des valeurs de l'image officielle du monde. L'incoherence entre les deux interpretations du meme evenement reflete la diglossie mentale du homo sovieticus et le dedoublement de sa vie en deux niveaux. Le realisme du texte se reduit au reflet de ce paradoxe. Par exemple:
- Кто твой отец? - спрашивает учительница Вовочку.
- Товарищ Сталин!
- А кто твоя мать?
- Советская родина!
- А кем ты хочешь стать?
- Сиротой! 33
Il s'agit d'un dialogue entre maitresse et eleve. La maitresse s'occupe de l'education des enfants "a la sovietique", en se souciant d'abord de leur formation ideologique, comme montre par les phraseologismes tires du langage officiel utilises: otec - tovarisc Stalin et mat' - Sovetskaja Rodina34 , ce dernier transposition ideologique du concept traditionnel slave de mat' zemlja (terre-mere). Les deux expressions sont signes de la destructuration de la vie familiale pendant les annees 30 et de sa transformation en une nouvelle realite sovietique: la famille dans le sens traditionnel de liaisons parentales entre ses membres est remplacee par la grande famille elargie de la societe, ce qui entraine un changement de roles et d'attitudes. Dans la famille sovietique l'Etat remplace les parents et exerce leur fonction traditionnelle de modele pour l'enfant; de meme l'enfant sovietique est orgueilleux de sa famille, la Patrie, l'aime et la respecte, est pret a donner la vie pour elle. Mais la reponse a surprise de Vovocka confere au signifie des unites mythologiques citees la connotation negative "etre fils de Staline et de la Patrie Sovietique est un tel cauchemar qu'il vaut mieux rester orphelin", impliquant indirectement un veux de mort souhaite a l'Etat. En quelques lignes cet anekdot transmet une information sur deux aspects du byt sovietique, l'education des enfants, fort politisee, et la disparition de la famille traditionnelle, et trace un cadre de la vie en URSS qui, au lieu d'etre idyllique comme il devrait, resulte meprisable. Le mecanisme a la base du fonctionnement du texte concerne la reinterpretation des cliches linguistiques officiels avec des consequences semantiques et referentielles: le contenu des cliches changent et renvoie a une realite differente, dont l'anekdot est signe.
L'anekdot cite comme exemple permet d'attirer l'attention sur le fonctionnement semantique des histoires droles comme signe du reel. Le rapport entre l'anekdot et la realite son referent passe a travers une deformation du modele de cette derniere et se realise dans la duplicite semantico-logique du anekdot. Cette duplicite a un caractere significatif et referentiel: la deformation de la realite, telle qu'elle est explicitee dans le final, provoque une nouvelle interpretation de la meme et consequemment renvoie a un nouveau referent. Dans le cas du anekdot la realite a la base du texte est celle fictive de la propagande et sa deformation donne comme resultat l'emersion des aspects de la realite historique qu'elle devait cacher.
La violation des modeles est non seulement but, mais aussi instrument de la construction du signe et en tant que tel il tient de l'invention. En effet, bien que l'anekdot contienne tous les elements necessaire a reconstruire l'histoire sovietique, il "имеет ярко выраженную установку на вымысел (...)"35 [Smolickaja, (a)], c'est a dire que le motif thematique a la base du texte est developpe dans un intrigue compose de situations impossibles de se passer dans la realite, mais parsemees des signes du reel. Dans l'exemple cite plus haut la situation representee est reelle seulement en apparence. Il est facile identifier la reaction de Vovocka comme anormale et non correspondante au modele comportemental de l'enfant: sa reponse finale denote une prise de conscience cynique de la realite, impensable pour un enfant mais propre a un adulte, et effectivement dans les anekdoty le personnage de Vovocka agit toujours selon ses propres regles. La non conformation du personnage a son modele lui permet de detruire un autre modele, celui du inevitable scastlivoe detstvo (enfance heureuse) de l'enfant sovietique.
Cette orientation a l'invention se manifeste dans la creation de textes parsemes d'elements "troublants", comme l'usage du vocabulaire obscene, qui correspond a une violation de la norme du comportement linguistique officiel et consequemment a une liberation des contraintes. De facon plus manifeste, l'invention se realise dans la mise en scene soit de cadres violant la logique spatio-temporelle, soit de personnages qui par leur comportement ne se conforment pas au modele qui en inspire la construction:
- lieux irreel (deformation des coordonnees spatiales). C'est dans la plupart des cas l'enfer, dont l'image s'inspire souvent de sa representation traditionnelle dans le genre folklorique du obmiranie36 , reinterpretee en cle contemporaine. A l'enfer les touristes sovietiques, accompagnes par un guide, visitent les lieux du repos eternel de leur chefs politiques, qui, en tant que pecheurs, y sont punis pour les crimes commis. C'est le reflet de l'excursion typique, en epoque sovietique, par les lieux lies a la biographie des leaders, comme le voyage po leninskim mestam (par les lieux de Lenine). De l'enfer les chefs d'Etat continuent a veiller sur le peuple et a influencer la realite. Par exemple : "Экскурсовода в аду спросили...", "Когда Сталин прибыл в ад...", "Грешники в аду стоят в дерьме по горлу..." 37 ;
- rencontre impossible (violation des coordonnees temporelles). Personnages appartenant a epoques historiques ou a dimensions existentielles differentes se rencontrent en creant une atmosphere de chaos historique. Par exemple : "Иван Сусанин пришел в ЦК...", "Пушкин на приеме у Сталина...", "Черт спросил Брежнева..." 38 ;
- personnages anticonformistes (violation du modele). Les personnages reels, inventes, et typifies agissent selon des roles atypiques par rapport au modele qui en a inspire la construction. Par exemple les enfants ont la conscience des adultes, les representants officiels se comportent comme des "sots":.
Les elements qui participent de la construction du texte sont donc le contraire de leur correspondant dans la realite, car ils sont fonctionnels a la creation d'un texte-signe carnavalesque du reel:
Рабиновича в аду спросили, куда он хочет, в рай или в ад?
- Покажите и я выберу. - попросил он.
Ему показали. В раю праведники сидели за партами, а ангели читалт им передовицы из газет. В аду выпивали, играли в карты, сновали голые девочки. Рабинович выбрал ад, и тогда его поволокли на раскаленную сковородку.
- Как?! - заорал он. - Вы мне показали совсем другoе!
- Это наш агитпункт! 39
Rabinovic, personnage fictif qui dans les anekdoty represente le type du juif sovietique, se trouve apres la mort a choisir entre le paradis et l'enfer. Malheureusement pour lui, meme apres la mort sa vie ne change pas beaucoup car il continue a etre trompe par le pouvoir sovietique. Cet anekdot peut etre considere le signe du systeme de la propagande en URSS: l'image du paradis est la metaphore du monde capitaliste selon la propagande, qui cherche a le peindre comme un monde qui n'a rien d'invitant, alors que les deux images de l'enfer correspondent respectivement au byt sovietique du point de vue de la propagande et au byt en realite. L'agitpunkt40 existe aussi dans l'au-dela et, de meme que dans la vie reelle, il poursuit un objectif de fausse agitation politique en trompant les citoyens comme Rabinovic, qui, attire par la promesse d'une vie fort seduisante, choisit l'enfer mais se retrouve dans une sorte d'enfer communiste, ou la realite sordide ne correspond a l'image d'elle donnee par la propagande. Le paradis et l'enfer sont representes dans leur images traditionnelles: les anges et la paix pour le paradis, la debauche comme fausse image de l'enfer, ou en realite le pecheur est fris a la poele, selon la vision populaire traditionnelle russe du chatiment divin.
La densite semantique du anekdot et son potentiel informatif sont enormes: dans l'espace de quelques lignes d'un texte laconique se concentre l'image complexe du monde sovietique, presente d'abord sous les semblants mythologises lui imposes par la propagande et apres, dans le final, comme sa deformation. Le bouleversement des modeles comme lutte contre une image du monde stable et imposee exprime le desir de liberte de l'individu. Alors si le mythe est un recit sur evenements et personnages consideres a l'origine d'un groupe sociale et la mythologie sovietique une sorte de cosmogonie de l'URSS, de la victoire de l'ordre communiste sur le chaos prerevolutionnaire, l'anekdot est la cosmogonie du anti-monde, le recit de l'etablissement du nouveau chaos. L'anekdot est une sorte de micro-monde qui dans des dimensions miniaturisees contient et exprime le macro-monde sovietique officiel et officieux: la lecture et le dechiffrage de ses signes sont la cle d'acces a l'histoire et a la civilisation sovietiques.
1.5 LA PERFORMANCE
L'existence exclusivement orale du anekdot sovietique rend indispensable une analyse non pas limitee au seul texte, mais concernant l'histoire drole a l'interieur de son acte de realisation ou performance, le proces pendant lequel l'ispolnitel' (celui qui execute) execute le texte pour un destinataire concret ou slusatel' (celui qui ecoute). En effet l'anekdot fait partie des genres du discours41 oral et sa production resulte un acte communicatif, dont motifs et intentions sont precises par Anna Wierzbicka:
АНЕКДОТ. Говорю: я хочу, чтобы ты себе представил(а), что случилось Х. Думаю, что ты понимаешь, что я не говорю, что это случилось. Говорю это, потому что хочу, чтобы ты смеялся. Думаю, что ты понимаешь, что люди говорят это друг другу, чтобы смеяться." 42 [Wierzbicka, 1997: 108].
Dans l'acte communicatif par anekdoty la transmission d'informations ne semble pas constituer le but principal, a difference de ce qui se passe avec la communication ordinaire ou bona-fide43 . Cette derniere vise a transmettre une information pertinente et digne de foi selon quatre postulats: maxim of quantity (dire exactement l'information demandee), maxim of quality (dire seulement ce que l'on croit vrai), maxim of relation (etre pertinent), maxim of manner (etre concis). L'histoire drole non seulement poursuit une finalite differente, susciter le rire chez le destinataire du message, mais en atteignant son but viole systematiquement au moins un de ces quatre postulats, habituellement celui de la quantite, a cause de la brievete du texte et du haut degre d'informations implicites. Ces particularites poussent V. Raskin [Raskin, 1985: 100-104] a definir la communication par histoires droles comme non bona-fide et a en proposer un modele, ou les postulats de Grice sont adaptes aux necessites de l'histoire drole: maxim of quantity (fournir seulement les informations strictement necessaires au comique), maxim of quality (dire seulement ce qui est compatible au monde de l'histoire drole), maxim of relation (dire seulement ce qui est relevant pour le comique), maxim of manner (raconter l'histoire drole de maniere efficace).
Mais dans le cas particulier du anekdot le contexte socioculturel ou il surgit et circule fait que le rire, but "classique" et prioritaire du genre anekdot, entraine d'autres finalites specifiques: la creation d'une societe secrete d'individus qui partagent la meme image du monde et la transmission d'une information supplementaire et ignoree a propos d'un evenement ou personnage deja connus. Ces trois finalites sont liees l'une a l'autre et sont l'une la condition necessaire a la realisation de l'autre. En effet l'anekdot se construit sur les realia du byt sovietique officiel, desquels dans le final il fait emerger les aspects inconnus et inusuels. Cette apparition soudaine d'une information supplementaire et correspondant a l'interpretation de la meme realite mais d'un autre point de vue est susceptible creer l'effet comique. Le rire, qui eclate seulement si locuteur et destinataire partagent le nouveau point de vue et les valeurs proposees, postule la creation d'une sorte de societe secrete, dont les membres conspirateurs sont les participants de l'acte communicatif par anekdoty, unis par la vision du monde vehiculee par le texte.
Comme la valeur de l'anekdot consiste dans la transmission d'un point de vue different sur evenements ou personnages connus, la condition sine qua non a la realisation de son acte communicatif concerne le partage non seulement de memes connaissances sur le monde, mais aussi du meme point de vue. Ce regard correspond a celui du ispolnitel' et au meme temps doit coincider avec "(...) точкой зрения воспринимающего описание адресата (читатель, зрителя), который как бы присоединяет себя к автору и вместе с ним принимает то ту, то другую точку зрения. (...)"44 [Uspenskij, 1995: 160]. Le succes de la performance reside donc entierement dans le rapport de complicite entre l'ispolnitel' et le slusatel'.
1.5.1 L'ISPOLNITEL'
La performence commence par un avvertissement du ispolnitel' a travers les metatekstovye vvody (introductions metatextuelles) [Qmeleva, Qmelev, 1998], comme "Я вам расскажу анекдот... А вот я знаю такой анекдот... Послушайте анекдот...А кстати, на этот счет есть прекрасный анекдот... Анекдот этот слыхали?" 45 , qui a l'interieur de l'acte communicatif realisent la fonction phatique et se presentent sous des formes assez standardisees, n'ayant leur termes rien de referentiel. Elle ne participent pas a la construction du texte, leur fonction est plutot celle d'un prologue qui oriente le destinataire vers une reception humoristique du message, en le prevenant de la nature particuliere du anekdot, situe entre discours ordinaire et discours artistique.
Ensuite l'ispolnitel', a la fois metteur en scene et acteur unique de la piece-anekdot, donne vie a une breve representation theatrale, au cours de laquelle il se trouve a devoir resoudre les problemes de maintenir vive l'attention du public et de lui rendre contenus et personnages reconnaissables. La brievete du texte et la structure meme de l'anekdot sovietique, qui presuppose la presence du dialogue ou du discours directe des personnages, exigent de la part de l'ispolnitel' une bonne dose d'art recitatif pour representer l'episode a travers les personnages et pour expliciter le contenu en le montrant plus que le racontant, comme a vouloir concretiser le non-dit par le langage du corps, par les expressions du visage, par une intonation qui suit le denouement du texte dans ses tournures les plus moindres. L'ispolnitel', en effet, joue son texte et interprete le role de tous les personnages qui participent de l'action a travers l'artifice theatrale du deguisement sous "masques" 46 differentes selon le role a interpreter et construites sur la base de stereotypes, cliches et, du point de vue linguistique, caracterisees par le procede du skaz. B. Ejchenbaum [Ejchenbaum, 1968a] definit le skaz comme une narration conduite non pas par un narrateur impersonnel coincident avec l'auteur meme, mais par un narrateur-personnage la "masque" duquel se maintien pendant toute la duree de l'?uvre et en definit la construction en imposant ses propres point de vue, systeme linguistique et psychologique. A travers le procede du skaz le narrateur attribue a ses personnages une masque linguistique stylisee, non pas vehiculee par un langage quotidien et neutre mais personnalisee du point de vue emotif, psychologique et phonetique. L'ispolnitel' reproduit de facon naturaliste le discours de tous ses personnages, chacun desquels se comporte de la facon qui lui est propre et percoit le monde de son point de vue. Cela implique le dialogisme comme un systeme a plus voix et points de vue qui parcourent l'anekdot et en effet "(...) столкновение разных идеологических точек зрения нередко используется в таком специфическом жанре художественного творчества, как анекдот (...)"47 [Uspenskij, 1995 : 22]. La performance de l'anekdot se distingue alors par un conflit entre positions ideologiques differentes, qui s'incarnent dans les personnages et dans leur discours. Ce conflit, a un premier regard, pourrait induire le slusatel' en erreur dans l'interpretation du texte, le convaincre d'une incoherence generale, cependant apparente et fausse, car dans l'anekdot, en realite, les differentes logiques et points de vue s'unissent de facon harmonieuse et coherente pour donner comme resultat une image du monde univoque.
1.5.2 LA POLYPHONIE
M. M. Bachtin [Bachtin, 1968] reconnaissait dans la polyphonie un trait fondamental de la litterature populaire, caracterisee par la presence de plusieurs voix heterogenes, qui s'alternent librement sans qu'il y ait un point de vue monopolisant tous les autres: a l'interieur de cette mascarade le narrateur se deguise en ses personnages, en changeant continuellement de masque selon le role qu'il doit interpreter. La meme definition de mascarade est attribuable a l'anekdot aussi, ou a la place du narrateur on trouve plutot un metteur en scene-acteur, qui represente une breve piece a plus personnages, chacun desquels voit le monde a travers ses propres yeux et exprime son point de vue specifique a travers le systeme linguistico-intonationnel lui propre.
Dans l'anekdot le systeme polyphonique est assez standardise sur trois voix, a un premier regard independantes l'une des autres:
- voix du metteur en scene: il intervient juste pour encadrer la situation qu'il s'apprete a representer par des remarques objectives de pure constatation, qui soulignent sa complete extraneite a une scene independante de sa volonte; sa position ideologique est neutre > POINT DE VUE EXTERIEUR;
- voix du personnage I: lui appartient la premiere replique du dialogue, qui exprime son propre point de vue a propos de l'argument de l'interaction verbale, souvent il est le porte-parole de la propagande du parti, donc il transmet une information selon le point de vue officiel > POINT DE VUE INTERIEUR;
- voix du personnage II: lui appartient la deuxieme et derniere replique du dialogue et exprime la meme information mais percue d'un point de vue different du premier, alternatif > POINT DE VUE INTERIEUR.
Donc pendant la performance s'alternent un point de vue exterieur, celui du metteur en scene, et un point de vue interieur double a l'egard du meme sujet, dans lequel coexistent deux logiques contradictoires l'une par rapport a l'autre:
- POINT DE VUE EXTERIEUR Ю logique de "constatation"
- POINT DE VUE INTERIEUR Ю logique "officielle" > personnage I
Ю logique "alternative" > personnage II
En effet chaque voix presente dans le texte, sauf celle de l'auteur, exprime une position ideologique independante et marquee, typique du personnage qui parle et qui indique la facon dont il interprete la realite. Cette position est vehiculee par la phraseologie propre au personnage. La structure polyphonique exclue categoriquement la presence d'une position ideologique abstraite et uniformisante, car au monologisme du point de vue unique s'oppose un dialogisme de voix heterogenes, chacune a soi avec sa propre vision du monde. Cela implique l'abolition de tout dogmatisme et la creation d'un texte democratique, une sorte de libre arene de debat ou l'individu peut exprimer son opinion a propos d'un theme donne et se confronter avec d'autres individus, ayant des opinions encore differentes. Tout texte polyphonique est donc aussi un texte democratique et en ce sens l'anekdot est en nette opposition aux textes officiels, qui excluaient le pluralisme d'opinions et points de vue et imposaient une seule interpretation possible de la realite, ideologiquement influencee.
A un premier regard la structure polyphonique de l'anekdot pourrait alors resulter fourvoyante, poussant a voir dans le texte un conflit irrationnel de points de vue, ce qui empecherait la realisation de l'acte communicatif. Son succes, en effet, depend strictement du partage de la part de ispolnitel' et slusatel' de la meme image du monde et du meme systeme de valeurs, possible si le message est coherent et univoque. Pour atteindre ce but, devant une pluralite de voix et de logiques, "(...) речь одного или нескольких персонажей СА должна быть объединена точкой зрения рассказчика, то есть того, кто формулирует систему коллектива. (...)"48 [Smolickaja, (a)]. En effet, meme si le personnage, en tant qu'enonciateur49 , transmet son propre point de vue, chaque enonce a toujours son responsable dans l'individu qui le produit reellement, l'ispolnitel' ou locuteur50 , qui, en qualite d'acteur unique, se cache derriere ses personnages. Les differents points de vue, en realite, correspondent a un point de vue unique, propre a celui qui execute le texte et qui a un certain moment unifie en soi les deux logiques contradictoires de son message et le pluralisme des voix du texte, en parvenant a transmettre un systeme de valeurs precis. L'ispolnitel' aboutit a la transmission du point de vue unique et, consequemment, a la coherence du message de facon cachee et indirecte, car il ne montre pas sa vraie position ideologique a l'egard du texte. Grace a l'usage particulier du skaz dans l'anekdot il se cache derriere les masques et l'apparente independance de ses personnages.
1.5.3 LA LOGIQUE DU SKAZ
Dans le paragraphe precedent on a souligne comme dans l'anekdot l'usage du skaz permet aux personnages de s'exprimer par la phraseologie qui leur est propre et qui rend evident leur point de vue. Derriere le souci de reproduire de facon naturaliste le discours du personnage, on percoit plutot l'intention du ispolnitel' de garder une position d'observateur exterieur par rapport au enonciateur-personnage, ce qui est confirme par la logique de constatation et l'indifference emotive qui transparaissent de son discours. L'ispolnitel' ne laisse jamais deviner son attitude reelle: il utilise generalement un registre neutre et objectif, en se placant dans une position de complete exteriorite a la situation qu'il represente, ses caracteristiques et son point de vue exterieur renvoient a des evenements independants de sa volonte, qu'il se limite a reproduire, comme indique par la phraseologie neutre et de constatation dont il se sert (on govoril, on sdelal, on idet, :)51 . Quand le skaz est utilise en litterature, tous les niveaux linguistico-psychologiques du texte sont impregnes par la masque du personnage, y compris celui du narrateur, juge avec ses personnages par le lecteur. Dans l'anekdot, au contraire, le locuteur semble rester en dehors de l'intrigue, en se soustrayant ainsi au jugement du destinataire, qui, faute d'indices sur sa position ideologique, le croit indifferent aux evenements reproduits.
En realite cette exteriorite n'est que pure apparence et le skaz l'artifice utilise par l'ispolnitel' pour induire en erreur le slusatel', le confondre dans l'identification de sa position ideologique par la structure polyphonique du texte et le surprendre au final. En effet, selon une demarche typique du skaz, le personnage qui parle et que l'on croit sujet actif de l'action, pret a imposer son point de vue, en realite est objet de la derision du ispolnitel', qui profite du discours de ses personnages pour exprimer son propre point de vue en creant ainsi une forte discordance entre les niveaux phraseologique et ideologique de l'enonce. Il parle en utilisant la phraseologie de son personnage mais son but et de rire de lui, donc en realite il exprime sa position d'ironie a l'egard du sujet du texte. Le fait que son discours soit marque par l'usage d'un point de vue exterieur et objectif, s'explique alors en fonction de la creation de cette discordance de niveaux, necessaire pour tromper le destinataire et creer un effet de surprise: rien ne doit laisser presupposer sa position ironique reelle a l'egard du texte, sinon l'effet d'inattendu verra a manquer au final, quand justement ses vraies intentions se revelent. Si l'interaction dialogique du anekdot procede dans la normalite, voir chaque personnage est fidele a la logique de son modele, le point de vue de la replique finale devoile la presence du ispolnitel', car les personnages agissent de facon inusuelle: si a parler est un personnage politique ou un hero culturel du regime il agit de facon illogique; s'il se traite d'un personnage autre, utilise comme instrument de la derision, il n'a pas honte de mettre le doigt sur la plaie, en faisant allusion, plus ou moins indirectement, a questions considerees tabous par la propagande. Le point de vue exprime par la derniere replique est celui dominant et fournit la cle a l'interpretation du anekdot, qui acquiert un sens completement different de celui qui caracterisait la premiere partie du texte.
Par le skaz, donc, l'ispolnitel' ne donne pas autonomie a ses personnages, au contraire il les prive d'independance et dignite en les transformant en marionnettes qu'il manipule a son plaisir, etant maitre absolu de leur destin. Le theatre du anekdot est alors un theatre de marionnettes, projection au contraire de la grande farce sovietique: si dans la realite les ficelles des marionnettes-citoyens etaient tenues par le chef de la nation, qui decidait les sorts du peuple, dans les anekdoty la situation est bouleversee, il y a un echange de roles, le citoyen se substitue au chef de la nation et joue avec les vies des politiciens, comme eux faisaient avec la sienne.
1.5.4 LE SLUSATEL'
Le role du slusatel' a l'interieur de la performance est aussi important que celui du ispolnitel', car par sa reaction il conclut l'acte communicatif, qui autrement resterait incomplet. Tout acte communicatif est bidirectionnel et implique non seulement l'envoie d'un message mais aussi sa reception. La reaction du slusatel' a l'anekdot peut etre double: le rire, signe que anekdot dosel52 et donc que le but que s'etait propose l'ispolnitel' a ete atteint, le slusatel' a reconnu dans l'histoire drole la transmission d'une certaine position ideologique a l'egard du systeme des valeurs culturels de son groupe et il la partage; la perplexite ou l'absence du rire, qui indique que le sol' anekdota n'a pas ete compris et par consequence l'acte communicatif a echoue.
La position ideologique du slusatel' a l'egard du texte et de l'ispolnitel' suit pas a pas le denouement semantico-logique du texte et change au fur et a mesure que se succedent les differents points de vue. En effet la reaction du slusatel' s'articule en deux reprises. La premiere correspond exactement a la duree de la performance, quand il cherche a identifier la position des personnages a l'egard de l'argument traite. La deuxieme ne dure qu'un instant, apres la fin de la performance, le temps de determiner la position du ispolnitel' par rapport au texte et aux personnages. Cela donne comme resultat une reaction doublee en deux positions ideologiques, successives et contradictoires vers le meme texte.
En assistant a la representation, le slusatel' se laisse naivement tromper par l'ispolnitel', car il voit dans le skaz une sorte d'"indicateur ideologique" exprimant la position des personnages-enonciateurs vers le theme traite. Au fur et a mesure que ces points de vue se dessinent, il elabore son interpretation personnelle du texte basee sur le naturalisme pretendu des enonces des personnages. Dans le final, cependant, la polyphonie presumee est substituee par le point de vue du ispolnitel' qui, sortant de son apparente indifference, exprime son jugement vers le theme du anekdot. L'anekdot alors joue completement sur le rapport dynamique entre ispolnitel' et slusatel': dans le final tout a coup surgit une discordance temporaire entre la position du locuteur et celle du destinataire du texte, qui s'apercoit d'avoir elabore a propos du texte un jugement different de celui du locuteur. Ce dernier, par contre, cherche expres la discordance, pour tromper le slusatel' et le surprendre avec sa position d'extreme ironie, ce qui cree un effet de grotesque. Le slusatel', s'apercevant d'avoir mal interprete le texte, remplace sa premiere opinion par une deuxieme, correspondante a celle du ispolnitel', qui participe activement a la situation representee, en conferant au texte, par la replique finale, sa propre orientation ideologique. La reaction du destinataire sera positive, marquee par le rire, s'il est d'accord avec le locuteur. De ce contraste inattendu nait l'effet comique et plus le point de vue du ispolnitel' emergera inattendu et soudain, plus l'histoire drole aura une reussite brillante.
CHAPITRE II
LE PERSONNAGE
Ce chapitre concerne la construction du personnage dans la categorie d'anekdoty qui visent a en faire la parodie selon le procede du travestissement burlesque. Dans chaque cycle le modele de l'individu reel est deforme differemment selon les traits semantiques de sa meme identite et il determine la construction linguistique et structurale du texte. Le rapport entre prototype et personnage est, en effet, a la base de la duplicite semantique fonctionnelle a la realisation de l'anekdot.
2.1 LE PERSONNAGE, LE CYCLE, LE PROTOTYPE
Les histoires droles accompagnent l'evolution d'une societe et en suivent pas a pas les changements, par consequence les thematiques affrontees varient constamment et les vieux motifs, lies aux evenements passes, peu a peu sont oublies et laissent la place a de nouveaux themes, transpositions du present. Chaque epoque est caracterisee par des cycles differents. Leur apparition est non seulement influencee par la realite historique concrete, par le contexte politique, social, economique et culturel de la societe ou ils circulent, mais est aussi stimulee par les actions de popularisation et de "mythologisation" effectuees par les mass media, en particulier cinema et litterature, qui imposent au public l'image accomplie d'un individu ou evenement aux traits soustraits a tout changement et impregnes d'une valeur et d'un jugement pilotes.
Le critere qui determine l'existence d'un cycle concerne le personnage, autour duquel se rassemblent des histoires droles du point de vue textuel autonomes l'une par rapport a l'autre, mais thematiquement liees entre eux, puisque toutes "racontent" du meme hero, comme episodes divers de sa biographie. En reprenant les theories de A.J. Greimas [Greimas, 1966], on peut definir le personnage comme une unite semantique aux traits distinctifs concrets, qui se realise dans un texte comme acteur, agissant selon un role actantiel determine par ses traits semantiques de base et enrichi par la subjectivite de son identite. Dans les anekdoty les unites semantiques but de la derision sont celles concernant les symboles du regime, le general'nyj sekretar' (secretaire general), qui se realise dans les personnages de Lenine, Staline, Chruscev et Breznev, et le kul'turnyj geroj (hero culturel), personnifie par Capaev et Stirlic. Il s'agit de personnages "intertextuels", car ils proviennent d'avant textes litteraires, cinematographiques ou politico-culturels qui procedent a leur enregistrement dans la tradition culturelle et rhetorique de la propagande sovietique. Les avant textes fournissent egalement les elements necessaires a la construction du personnage et consequemment du texte: le prototype devient un modele qui "prete" a son personnage correspondant dans les anekdoty ses traits physiques, ses qualites morales, son comportement, les situations dans lesquelles il agit et les personnages qui l'entourent, en un mot sa biographie complete. Inspires par leur modeles originels, les politiciens et les heros culturels du regime peuplent les anekdoty comme objet du rire et se transforment en leur doubles parodiques selon le modele folklorique du trikster, dans l'anekdoticeskaja skazka (fable-anecdote) le double du hero ancestral et demiurge du monde des recits mythologiques. Si le trikster peut se realiser dans le deux variantes de chitrec, le "ruse", celui qui met les autres dans des situations ridicules et de glupec, le "sot", objet de derision et victime de la situation, dans les anekdoty le personnage correspond sans doute au glupec. La figure du "sot" etait, en effet, traditionnellement utilisee dans les genres comiques comme image des representants du pouvoir officiel. Le personnage du anekdot partage avec son modele folklorique le statut de double d'un hero mythologique provenant d'un texte precedent, duquel il est transpose, avec ses traits specifiques et immutables, dans une nouvelle realite, ou il se transforme automatiquement en "sot". La nouvelle identite du personnage n'efface pas la precedente et prototypique, au contraire, elle se montre comme une sorte de deformation de l'identite originelle, qui, extrapolee de son texte initial, devient universelle et depasse les bornes qui la delimitaient. Cela permet de prolonger la vie du personnage a l'infini, de le liberer des contraintes ideologiques lui imposees et consequemment de violer la sacralite de son image, en refutant l'universalite absolue de jugement de l'ideologie sovietique.
Dans chaque personnage coexistent alors les deux couches semantiques du prototype et de son double. Etant le personnage une unite semantique hypercodifiee, les traits de sa masque sont automatiquement associes au prototype, present au niveau de structure cognitive de donnees dans la conscience du destinataire du texte. Au fur et a mesure du denouement de l'intrigue, les presuppositions faites par le destinataire sont contredites par la decouverte qu'en realite l'identite signalee par la masque est celle du double parodique, d'ou l'effet d'attente decue necessaire a la provocation du rire. En effet, de ce point de vue, la construction du personnage dans les anekdoty repond aux criteres semantiques necessaires au fonctionnement du genre, proposes par V. Raskin avec la script-based semantic theory53 [Raskin, 1985]. Selon cette theorie chaque terme present dans le texte de l'histoire drole evoque un script, c'est a dire une structure cognitive interiorisee par le parlant et contenant l'information semantique liee au terme en question. Le script resume la connaissance de la partie du monde propre au parlant et exprimee par le terme. Afin que l'anekdot se realise dans son but comique, il faut qu'y soient presents deux script, les deux au meme temps compatibles au texte et en opposition entre eux, et qu'un element suscite le passage soudain d'un script a l'autre. Le personnage des anekdoty se compose de deux identites comme deux script, dont le premier correspond au prototype et le deuxieme a son double, lie au prototype par un rapport de dependance necessaire. Le dvojnik (double) parodique est le resultat de la deformation semantique du prototype malgre la conservation des signes exterieurs de la masque, ce qui fait de la masque une sorte de structure, dont les elements constituants peuvent assumer deux signifies et renvoyer a deux referents divers: le prototype, present au niveau implicite, et son double, protagoniste du texte. Par consequence, le personnage est le resultat d'une construction semantico-linguistique en deux etapes, dont la premiere concerne la masque et la deuxieme sa semantique.
2.2 LA MASQUE
La premiere etape de la construction du personnage vise a la creation de son "image". Le personnage, sortant de son texte originel, necessite d'une caracterisation particulierement riche et precise, afin qu'il puisse etre reconnu meme en dehors de son espace traditionnel et que l'action de parodie effectuee sur son identite soit apercue. Le probleme de l'identification est complique aussi par le laconisme extreme des anekdoty et par la presence d'une seule voix pour representer le texte en depit d'une pluralite de personnages. Ayant la performance du anekdot un denouement dans le temps limite a quelques minutes, vu le rythme soutenu et montant du texte, l'identification doit etre soudaine et exclure categoriquement une possible pause de reflexion finalisee au reperage de la representation du personnage, presente dans la memoire sous la forme de structure cognitive de donnees. Dans les textes narratifs traditionnels longs, le personnage est introduit directement par une description qui en fait un "portrait", ou bien de facon indirecte comme reflet de ses mots, de ses actions et de ses rapports avec les autres personnages qui interagissent avec lui et avec lesquels il constitue le systeme des personnages d'une certaine ?uvre, ou chaque individu se determine et agit en fonction des autres. Le meme se passe dans les anekdoty mais de facon essentielle et proportionnee aux dimensions textuelles de la miniature, qui au maximum permettent a l'ispolnitel' d'introduire ses personnages par le nom ou l'indication de la profession ou de l'age, sans ajouter descriptions physiques ou psychologiques. Ces descriptions seraient, d'ailleurs, superflues vu que le numero des personnages des anekdoty en circulation dans une societe a un moment donne est limite et les personnages memes sont deja connus par le public, en provenant de la realite ou d'?uvres litteraires et cinematographiques de grande popularite.
Le probleme de l'identification est resolu par l'artifice de la "masque", que chaque personnage est oblige a porter, peine l'echec du anekdot. Ne se traitant pas d'une masque dans le sens traditionnel du mot, celle du anekdot est plutot une masque verbale, construite a travers le lexique et surtout des cliches lisibles et identifiables au premier coup d'?il, details que l'ispolnitel' choisit pour donner au personnage un "visage", le rendre ainsi reconnaissable et lui permettre de sortir de son contexte originel pour se deplacer dans d'autres, sans pourtant perdre l'exactitude de son identite.
Comme tout personnage ne sort pas de la pure imagination du anekdotcik (celui qui compose les anekdoty) mais a un prototype, reel ou invente, la source pour la construction de la masque est fournie par le prototype meme. On ne reproduit pas le prototype dans son integralite mais son image est elaboree et construite a nouveau en choisissant de son identite un numero limite de details selon les criteres de l'"anecdoticite", de l'evidence et de la recurrence. Il s'agit des traits particuliers qui sautent tout de suite aux yeux, et qui consequemment concernent les details exterieurs et visibles, parce que soit ils accompagnent constamment le personnage et de cette facon s'associent a lui spontanement, soit ils sont eux-memes anecdotiques, a savoir, selon la theorie du comique de V. Propp [Propp, 1999], tous les petits defauts, dont on s'apercoit tout de suite mais qui ne suscitent pas des sentiments particuliers de repulsion, car ils apparaissent plutot comme droles. Ce critere implique une delimitation automatique du choix des personnages indiques a devenir protagonistes des anekdoty: meme si la popularite extreme a l'interieur du groupe est un element tres important, il lui doit s'ajouter la predisposition naturelle, la possession de ces fameux elements anecdotiques.
Les details ainsi choisis sont ensuite soumis a l'artifice de la stereotypification et de l'hyperbolisation, qui, en les detachant de leur contexte originel, les transforment en signes grotesques du personnage, immutables et autonomes des changements spatiaux et temporels. Leur pouvoir d'evocation est si fort, que parfois ils se detachent meme du personnage et acquierent une existence autonome, l'existence de la partie comme but de la derision au lieu du tout, ce qui renvoie a un emploi metonymique du detail. Donc tous les personnages portent des masques, caracterisees par un choix de details grotesques et figes, qui font de la masque une sorte de typification de l'aspect reel du prototype, a la maniere des masques traditionnelles du carnaval, visages grotesques, deformes et immutables.
Le personnage, par consequence, est une entite accomplie, qui trouve sa raison d'etre en elle-meme et ne necessite pas du changement ou de l'evolution. Mais une figure si statique et plate resulterai peu indiquee par un genre "mouvemente" et conflictuel comme l'anekdot: l'illusion de la dynamique est creee par l'insertion du personnage en des situations toujours differentes. Les nouvelles aventures qu'on lui fait vivre ne se limitent pas a conferer dynamisme au texte, mais transforment le personnage en son double, en attribuant aux signes de sa masque un sens nouveau.
2.2.1 LA CONSTRUCTION DE LA MASQUE
L'essence de la masque est celle d'un realisme stereotype qui fait de chaque personnage la projection figee de son prototype. Comme pour les masques traditionnelles du carnaval, la masque des anekdoty est definie avant tout par le nom. Le nom est une sorte de symbole, condition necessaire pour qui raconte et pour qui ecoute, qui renvoie a une identite precise, precedemment enregistree, et pour cette raison deja indice du theme de l'histoire, en permettant l'elaboration d'hypotheses sur son developpement successif. En effet, la nomination dans l'anekdot s'effectue selon le procede typique du folklore des postojannye epitety (epithetes permanents), formes nominatives fixes qui indiquent au meme temps l'identite du personnage et ses caracteristiques, cependant stereotypees et pas correspondantes a la realite. Le nom renferme en soi non seulement toutes les informations sur l'individu et sur son entourage, mais, selon les formes nominales utilisees, il permet aussi d'etablir ses rapports avec les autres personnages et fonctionne comme signe de l'epoque. Par exemple, dans les anekdoty, a cote de la forme neutre et formelle Vladimir Il'ic on registre aussi l'usage du seul patronymique Il'ic, qui implique une attitude amicale et informelle vers le leader et temoigne de la tentative du parlant de s'approcher du hero mythologise; en plus, la reduction de la distance dans le contact personnel transforme Lenine dans un individu "accessible" et d'une certaine facon detruit la hierarchie. Au contraire, la forme officielle Lenin presuppose un rapport informel a l'egard de Lenine comme personnage mythologise par la propagande, et dans les anekdoty elle est utilisee dans les slogans et dans les textes politiques. L'appellation deduska Lenin (grand-pere Lenine) est un cliche du mythe stalinien de la "grande famille des peuples" et fait allusion a la legendaire bonte de Lenine surtout a l'egard des enfants, les seuls dans les anekdoty a s'adresser a lui par cette forme. Dans les anekdoty Lenine seul a le droit de s'adresser a Staline par nom et patronymique, alors que les autres restent fideles a l'appellation tovarisc Stalin (camarade Staline). Cette forme commenca a etre utilisee dans les annees 30, quand, face a la menace du fascisme, fut cree le mythe de la "grande famille des peuples" en qualite de symbole de l'alliance internationale, a la tete de laquelle se trouvait Staline. Elle exprime une attitude de reverence et de distance vers le tyran. Dans les annees 50 et 60 l'appellation nas Nikita Sergeevic (notre Nikita Sergeevic) exprime une nuance ironique a l'egard du leader, alors que pendant l'epoque de Breznev la forme dorogoj Leonid Il'ic (cher Leonid Il'ic), malgre sa nuance informelle, etait utilisee dans les situations officielles et presupposait le prolongement de l'imitation des rapports familiaux entre l'Etat et le peuple. Pour les heros culturels, l'appellation Capaev est utilisee par l'ispolnitel' du texte, le narrateur du mythe exterieur a l'histoire, alors que Vasilij Ivanyc est la forme, dialectale, par laquelle Capaev est designe par ses camarades a l'interieur du mythe. Stirlic est la seule appellation pour le hero, qui dans le film est ainsi appele par ses camarades allemands aussi bien que par le narrateur: la formalite de cette forme reflete l'extraneite et la distance de l'interlocuteur vers le hero.
Le nom, cependant, ne suffit pas a caracteriser le hero, il se limite a jeter les bases pour sa definition successive, qui concerne l'exteriorite du personnage, a savoir son aspect physique, comme certaines particularites corporelles qui ne se conforment pas aux standards de l'image du corps humain, et certains accessoires, lies a l'habillement, ou aux outils de travail, simples details qui s'accompagnent toujours au personnage en devenant le completement necessaire de son identite. Par exemple, les brovi (sourcils) de Breznev ou la trubka (pipe) de Staline.
La construction de la masque obtient ses resultats maximaux avec sa caracterisation linguistique. E.J. Qmeleva et A.D. Qmelev [Qmeleva, Qmelev, 1998] soutiennent que, etant le texte du anekdot represente par un seul acteur sans masque ni decor, afin d'etre reconnaissables les personnages doivent etre soumis a un procede de "typification" en premier lieu linguistique. Ce procede aboutit a la creation d'une "masque linguistique", composee par des details choisis et vises a stereotyper le comportement linguistique reel du hero. Chaque personnage, en effet, ne parle pas proprement dans la langue qu'il utilise dans la realite: de son discours on extrapole certains details particulierement frappants et recurrents, percus comme un eloignement de la norme linguistique, a savoir les petits erreurs grammaticaux, un accent ou une intonation peu ordinaires, l'usage constant de certains mots et locutions, de formules et strategies dialogiques. Ces details deviennent les signes du parler reel du personnage, duquel ils refletent psychologie, niveau d'education, provenance sociale et vision du monde: les "masques linguistiques" selon E. J. Qmeleva e A. D. Qmelev realisent les previsions de G.O. Vinokur a propos des personnages de la comedie de Griboedov Gore ot uma, selon lequel les masques theatrales se distinguent non pas par les costumes portes mais par le langage parle [Qmeleva, Qmelev, 1999b]. La caracterisation linguistique s'accompagne evidemment aussi d'elements extralinguistiques comme la gestualite, entre autre typique de l'acte communicatif dans le langage parle, un mixte de components verbaux et non verbaux en rapport de collaboration reciproque, vu que les gestes sont appeles a illustrer les mots et surtout a clarifier le non-dit.
De la masque au sens large du terme font aussi partie les situations ou le hero apparait, les personnages secondaires qui l'entourent et les actions dont il est protagoniste, et qui derivent de son avant texte, mais le monde du personnage est toujours bouleverse par l'intrusion d'un element exterieur, apparemment banal, qui suffit a travestir l'episode du anekdot et son protagoniste des habits de la parodie.
2.3 LE TRAVESTISSEMENT
La masque par la constance de son portrait realise la fonction de signe dans la construction du personnage et garantit son identification dans toutes ses manifestations. Comme la masque dans son fonctionnement traditionnel implique la carnavalisation et dans l'anekdot le personnage est le but de la derision, elle resulte le signe du double parodique du prototype et a son tour le double est signe de ce prototype, par rapport auquel il apparait une sorte de deformation du modele.
Cette deformation concerne la semantique du personnage et passe a travers la masque, dont les traits forment une sorte de structure stable et inchangeable, ou la semantique du prototype est remplacee par celle de son double. Les details de la masque servent non seulement a l'identification du personnage, mais sont aussi utilises comme motifs thematiques sur lesquels se construit l'intrigue du texte, autrement dit la masque fournit le macro-sujet des anekdoty. En effet, typique des anekdoty sur les politiciens et les heros culturels du regime est la concentration du texte autour du personnage qui, comme le hero mythologique des bylicki russes, cree autour de lui un champ semantique produisant les motifs et les intrigues a la base du texte. Donc les rapports entre personnage et prototype se definissent au long du developpement de l'intrigue, determine dans son denouement par la masque, point de rencontre paradoxal de deux identites ayant une valeur differente. Parmi les details de la masque seulement certains sont utilises pour obtenir l'effet parodique: dans les sjuzetnye anekdoty (anekdoty avec un sujet) motif deviennent toujours les qualites morales du personnage, qui se manifestent dans son comportement linguistique, alors que les traits de l'aspect exterieur ou ceux phonetiques sont objet de la narration dans les bessjuzetnye anekdoty (anekdoty sans sujet).
Le personnage agit dans la piece-anekdot de la meme facon qu'il faisait dans ses avant textes, en restant fidele au modele du prototype. Mais au cours du denouement de l'action la semantique originelle du prototype acquiert un nouveau sens, qui cause la destruction du modele et la transformation du personnage dans son double parodique. Les mecanismes a la base de ce changement, bien que differents de cycle en cycle, concernent le rapport absurde entre le personnage et le contexte: le personnage, comme incapable de juger et d'evaluer correctement la situation, reagit en gardant son comportement originel, qui cependant resulte hors de contexte. Cet "affrontement" de semantiques non correspondantes non seulement provoque la creation du absurde, localise dans l'absence de lien entre le personnage et le contexte, mais est aussi a la base de la formation de la semantique du double, qui apparait comme une variante reduite du prototype: la stabilite, et donc l'absurdite, du comportement du personnage provoque la perte de tous les traits consideres d'une certaine facon peripheriques, secondaires dans la determination de la semantique du personnage-double et la fixation de ceux qui au contraire avaient ete utilises comme motifs de l'intrigue et consequemment eleves a signes du double. Donc d'un cote le personnage parodie s'appauvrit mais de l'autre ses possibilites existentielles augmentent considerablement, car les traits lui attribues par l'anekdot deviennent universels et adaptables a toute situation.
Le travestissement du personnage est donc realise selon un procede qui repond aux criteres de profanation des mythes contemporains dans la production artistique populaire, ou " (...) Пародируемый текст искажается. Это как бы "фальшивое" воспроизведение пародируемого памятника - воспроизведение с ошибками (...)."54 [Lichacev, 1984: 12]. En effet on peut relever une tendance a une variation minimale du texte originel dans le but de le rompre de l'interieur par l'introduction d'un element exterieur banal qui s'insere dans une poetique laissee intacte. Cela cree non pas un nouveau texte mais l'analogue profane du texte serieux et sacre, qui s'accompagne a une "remythologisation" du personnage: l'identite du dvojnik se fixe sur de nouveaux traits invariables, transposes cependant dans un style bas avec une visee essentiellement satirique, qui vont caracteriser la nouvelle identite du personnage et son comportement dans l'anekdot.
2.4 LES CHEFS D'ETAT
Dans les anekdoty sur les chefs politiques se verifie un bouleversement des roles du tyran et du peuple lui soumis: les ispolniteli (peuple) deviennent maitres absolus des vies de leurs personnages (tyrans), avec lesquels ils jouent pour en faire une parodie. Ils les transforment en durak (sot) et procedent ainsi a la vulgarisation de leur condition mythologisee de divinites du pantheon communiste.
Malgre chaque cycle presente ses particularites, une constante commune aux anekdoty sur les politiciens est l'artifice de la deformation linguistique, typique entre autres de l'humorisme ethnique. Il consiste dans la reproduction de la facon dont la minorite ethnique parle dans la langue de la majorite, avec les buts de la derision et de la demonstration de son inferiorite intellectuelle. L'usage de cet artifice est plutot efficace dans les anekdoty, car d'une part l'elite politique etait vue effectivement comme une sorte de minorite de laquelle la population prenait les distances, et de l'autre ses politiciens, sauf Lenine, se distinguaient par l'exercice d'un art rhetorique pauvre, en contraste avec leur role, qui au contraire exigeait une maitrise parfaite de l'art oratoire: "(...) не умели двух слов связать ни Сталин, ни Хрущев, ни Брежнев, ни его приеемники. Не умели этого и референты, сочинявшие им речи, не умели и секретари обкомов, и так далее - неспособность говорить внятно и занимательно отличала советскую элиту в протяжении десятилетий (...)."55 [Rabinovic, 2000: 36]. Les chefs d'Etat sovietiques partageaient non seulement cette inaptitude a l'art du discours, qui atteignit le grotesque avec Chruscev et Breznev, mais aussi une facon de parler, caracterisee d'un cote par des traits, surtout phonetiques, eloignes des normes de la langue russe, des -r grasseyes de Lenine, a l'accent caucasien de Staline, aux gros mots de Chruscev, aux vices de prononciation de Breznev, de l'autre par des "habitudes discursives", a savoir la recurrence de certaines formules ou expressions. L'importance de l'art rhetorique, exigee par le protocole et par le role de general'nyj sekretar', contraste avec la misere linguistique reelle et les vices de prononciation des chefs qui, egalement dans tous les cycles, sont soit imites, soit utilises comme motif a la base des textes.
Le vrai trait d'union parmi les differents cycles concerne le mecanisme sous-jacent le fonctionnement du texte, qui se repete inchange de cycle en cycle. Dans les anekdoty les chefs sovietiques sont toujours representes au milieu de situations precises, auxquelles ils reagissent sur la base du comportement leur fourni par le modele et en exprimant un jugement en propos, qui reproduit les affirmations typiques du prototype. Le personnage donc se presente comme une unite semantique stable, projection du prototype. Le contexte, au contraire, change continuellement par rapport a celui originel: il peut se traiter de situations nouvelles ou bien de situations stereotypees et donc hypercodifiees, dans lesquelles s'insinue un element troublant, atypique. L'identification manquee de la part du personnage de ces scenarios alternatifs provoque sa fidelite au modele et a son comportement stereotype, finalise a des circonstances autres: le contraste semantique, du a la manque de correspondance entre la reaction du hero et le contexte, provoque un absurde, a la suite duquel eclate le comique et le personnage se transforme en son double, une entite absurde, sans liens avec la realite qui l'entoure. Le mecanisme esquisse pourrait etre schematise de la facon suivante:
Avant texte
Personnage: Situation hypercodifiee A > Comportement hypercodifie A
Anekdot
Personnage: Situation alternative B > Comportement hypercodifie A
C'est le contexte a jouer un role fondamental dans la construction semantique du dvojnik: d'une certaine facon le travestissement du personnage n'est que le resultat du travestissement de la situation. Exclusivement par rapport a elle le hero devient absurde et les traits exprimes par sa reaction hyperbolises et grotesques. En effet sa reaction hors du contexte aboutit a fixer les traits de la masque qu'elle exprime, en les rendant traits "pertinents" de la semantique du double et signes de lui.
2.4.1 LENIN
V. I. Lenine est le protagoniste du cycle Leniniana, apparu en URSS en 1970, en occasion du centenaire de sa naissance. Jusqu'a ce moment-la les anekdoty sur Lenine semblaient ne pas avoir joui d'un grand succes: Lenine, a difference de ses successeurs, avait ete epargne par l'action desacralisante de l'humour du peuple, chez lequel survivait son image de revolutionnaire juste, qui avait agi et opere au nom du peuple. Les celebrations de son centenaire, cependant, depasserent toute limite d'acceptabilite et devinrent suffocantes et obsessives au point que la reaction ne se fit longtemps attendre et se declancha automatiquement en un flux incroyable d'anekdoty sur la biographie du hero mythologise Lenine, demiurge du monde communiste, vecno zivoj et sur le proces de sacralisation auquel il avait ete soumis le lendemain de sa mort. En effet, les anekdoty du cycle s'inspirent completement des textes officiels sur Lenine et de l'image qui en sortait de revolutionnaire toujours en action, qui ne connait aucun moment de pause, qui dedie sa vie a la cause du proletariat tant aime, l'image d'un grand erudit, d'un homme aux sentiments nobles, genereux, hors du commun, qui aime les enfants et qui ne connait pas les vices et la corruption morale auxquels sont constamment exposes les hommes. L'homme Lenine s'effacait devant sa projection mythologisee. Les anekdoty cherchent a lui reattribuer, alors, des traits humains, parfois en preferant les plus sordides, comme l'alcoolisme et la cruaute, et de cette facon aboutissent a une veritable profanation de son image sacree, ils vulgarisent Lenine et le transforment en individu caricatural et grotesque.
D'abord la masque. Lenine dans les anekdoty garde l'aspect physique et la gestualite, qui caracterisent sa representation officielle dans les arts plastiques, surtout en sculpture, et au cinema: un individu de taille petite (malen'kij), avec une barbe (borodatyj) et sur la tete une casquette (kepka), la main dans le bord de sa veste et, lorsque d'un discours, le bras tendu vers la foule; ses mouvements sont brusques et pendant la conversation il a l'habitude de cligner les yeux, indice de sa legendaire astuce (:i chitro priscurilsja). Sa masque linguistique caracterise toutes ses repliques:
- le /r/ grasseye;
- les appellatifs baten'ka ou tovarisc, le premier typique de la langue parle, aujourd'hui archaique, il derive du russe ancien batja (pere) et est utilise pour s'adresser amicalement au propre interlocuteur. Lenine en abuse et l'alterne au sovietique tovarisc auquel suit l'indication de l'appartenance de classe comme tovarisc proletarij (camarade proletarien): de cette facon Lenine exprime son attitude a la foi d'amitie et de respect a l'egard des autres et sa foie aveugle dans l'ideal communiste de solidarite entre les hommes;
- l'usage exagere de diminutifs comme idejki, srednjacok, kulacok, bronevicok56 , dont il se sert aussi pour s'adresser a son interlocuteur, comme les Naden'ka, Nadjusa pour sa femme. Ses discours sont aussi marques par une gentillesse extreme et par un usage excessif des formes de politesse comme pozalujsta (s'il vous plait): il s'agit d'un signe d'appartenance de classe, Lenine se definit le chef des masses ouvrieres mais en realite il est un petit bourgeois, comme indique par sa facon de parler, typique de petits bourgeois et des marchands d'avant revolution;
- la repetition des mots, pour augmenter la densite semantique et le pouvoir emotionnel de son message, comme ucit'sja ucit'sja i ucit'sja! (etudier, etudier, etudier!);
- la repetition stable de certains mots, comme zrja (en vain) et archizanjatnejsij (super occupe), archi- est le prefixe, typique du langage journalistique, prefere par Lenine, qui l'anteposait aux adjectifs et aux adverbes en leur conferant un ulterieur signifie d'exageration;
- l'usage d'expressions devenues ensuite proverbiales, tirees de ses discours: vse nado nacinat' snacala; a idejki kuda devat' prikazete; ekaja glyba!Ekij materyj celovecisce; Revoljucija, o neobchodimosti kotoroj vse vremja govorili bol'seviki, soversilas'; my pojdem drugim put'em; celovek kristal'noj dusi; ocevidnye proiski kontrrevoljucii57 . C'est un langage formel, fort politise, qui procede par images metaphoriques concises et emotionnelles.
Sous ces apparences Lenine anime un cycle d'anekdoty regroupes en deux categories: sur la biographie du hero et sur le centenaire comme culmination de sa sacralisation. Si la premiere typologie met en scene des episodes de sa vie, ou il est le protagoniste et sa masque fournit les motifs, sur lesquels se denoue le texte, la deuxieme se base sur l'image posthume de Lenine comme objet de sacralisation.
La premiere typologie se presente comme une reecriture de la biographie mythologisee du hero. Chaque anekdot represente une situation typique de sa biographie, concernant soit la vie de tous les jours, quand il rencontre le proletariat et les paysans, et il travaille aide par ses collaborateurs, soit les moments cles pour la creation du pouvoir sovietique, dont il a ete protagoniste. Dans ces situations il est entoure par les personnages qui peuplaient sa vie reelle et avec lesquels il forme le systeme des personnages de son ?uvre biographique. Dans ce systeme chaque personnage agit selon le role lui assigne par la propagande, sans jamais sortir des limites du texte traditionnel et en fonction du protagoniste unique Lenine: son role, en effet, stimule l'emersion de certaines nuances de la personnalite du hero et donc influence ses reactions. La stabilite des personnages secondaires et leur manque d'autonomie indiquent comment l'univers communiste s'organise autour de Lenine, le seul a posseder le pouvoir non seulement de changer concretement le cours des evenements par ses actions, mais aussi d'etablir l'identite de ceux qui l'entourent. Cette derniere observation est confirmee par le fait que Lenine se refere a eux en les designant par des formules clichees, qui expriment son jugement personnel a leur egard:
- Naden'ka: N. K. Krupskaja, femme de Lenine. Son role est de caracterisation du foyer domestique, de la vie privee de Lenine, comme la tasse de the qu'elle lui propose systematiquement et avec laquelle elle constitue le decor de la maison. On la retrouve toujours a cote de Lenine, qu'elle appelle affectueusement Voloden'ka ou Vovka-Markovka (Vovka petite carotte), ce dernier un surnom typique des comptines ironiques, racontees par les enfants sur les prenoms de leur copains. Le seul detail qui se repete de son aspect physique concerne sa laideur, vu qu'on la definit mordovorot (sale gueule) et, comme le mari, elle s'exprime par un langage bourgeois. Son identite et son role sont crees par la definition de Lenine de celovek kristal'noj dusi (individu a l'ame de cristal), qui renvoie a la legendaire purete de Krupskaja et a son rapport asexue avec le mari :
- Володя, давай еще разок...
- Нет, Надюшенька, тгех газ уже хватит.
- Ну последний разик, а то я не усну.
- Нет, Надя, уже поздно, соседи услышат.
- Ну а мы потихонечку!
- Ну ладно, только шепотом. Газ, два... "Вихги вгаждебные веют..." 58
Le comique du texte se construit sur un effet d'attente decue a l'egard du developpement de l'action: l'image du couple conjugal, tard le soir, au lit, confere aux termes utilises par les deux personnages des nuances sexuelles apparemment indubitables, cependant contredites au final par le fait que, en realite, l'objet du desir de Naden'ka est de chanter un chant revolutionnaire avec le mari, ce qui confirme sa chastete et l'engagement total du couple pour la cause revolutionnaire.
- Feliks Edmundovic: F. E. Dzerzinskij, chef et fondateur de la police secrete XK et tristement connu par sa cruaute, il est le bras droit de Lenine, son fidele compagnon et collaborateur. Il est surnomme pour sa fermete revolutionnaire >eleznyj Feliks (Feliks de fer) et defini par Lenine istinnyj rycar' revoljucii (chevalier sincere de la revolution), son role en effet est de realiser les ordres d'execution donnes par Lenine.
- Trockij: il apparait indirectement, surtout comme objet des discours de Lenine qui l'appelle politiceskja prostitutka (prostituee politique), a cause de son instabilite politique.
- Aleksej Maksimovic: M. Gor'kij, un ecrivain tres aime et estime par Lenine qui le saluait comme modele pour le futur developpement de la litterature, en le definissant ekij materyj celovecisce (individu de grande puissance morale et intellectuelle). Comme Trockij, il est surtout objet du discours de Lenine.
- Chodok (delegue): le terme est archaique et designe le delegue du kolkhoz en visite chez Lenine pour lui demander d'aider les paysans. Il est le type du niais de campagne qui parle un langage dialectal et s'adresse a Lenine en l'appelant Volodimir Il'ic, forme archaique, non pleophonique de Vladimir, devant lequel il se sent embarrasse et balbutie avec des frequents vot tak (voila, c'est comme ca). Selon l'image ideologique, le kolkhozien pauvre, affame et mal vetu s'adresse a Lenine avec une demande d'aide, comme les enfants aussi, car selon la propagande Lenine aime le peuple et surtout les enfants et il est toujours pret a les aider, mais dans les anekdoty il n'a jamais pitie d'eux.
- Rabocij (ouvrier), le representant du proletariat, qui a toujours une propension pour l'alcool, utilise un langage vulgaire et obscene en montrant absence d'education et d'instruction. Il s'associe au motif de Lenine, qui cherche en continuation le contact directe avec les ouvriers enthousiastes de leur chef, mais dans les anekdoty le proletariat souvent ne le reconnait meme pas, se fiche des ideaux communistes qu'il propane et de ses initiatives et le traite a gros mots.
Les motifs des anekdoty de cette premiere typologie sont fournis par les qualites morales de Lenine. Le texte fonctionne sur la base d'une manque d'equivalence entre l'identite mythologisee de Lenine et le contexte bas ou quotidien ou il agit et par rapport auquel son attitude de revolutionnaire constamment en action apparait disproportionnee et excessive. Autrement dit, si d'un cote la situation change en continuation, le comportement de Lenine par rapport a elle est immutable et correspond a son modele mythologise. Pour cette raison sa reaction apparait hors de contexte et de ce contraste les traits caracterisant son image sortent hyperbolises, ce qui transforme Lenine en individu caricatural et grotesque.
Lenine est toujours represente pendant une interaction dialogique avec un des personnages cites dans des decors atypiques, caracterises par la presence d'elements troublants et dans la plupart des cas appartenant a une quotidiennete baisse, comme les trusiki (calecon), ou les toilettes, ou les mots vulgaires, signes d'une realite trop humaine et miserable pour un hero qui se soustrait a toute humanisation. Malgre la situation, Lenine reagit par son comportement habituel, qui se condense dans ses celebres expressions proverbiales, une sorte de formules magiques, ayant le pouvoir d'exalter ou condamner leur referent pour toujours:
Сидит Володенька в туалете:
- Наденька, принеси мне бумажки!
Наденька ходит по дому, ничего не находит. Находит ему Горького "Мать" и приносит ее Володеньке. Володенька говорит:
- Спасибо, Наденька, книга нужная и своевременная! 59
Le decor miserable des toilettes apparait desolant par rapport au hero immortel, ici represente comme un homme quelconque, qui pourtant ne renonce pas a demontrer sa superiorite intellectuelle, puisque il se sert de ses formules, qu'il reussit a appliquer a des contextes infimes. L'expression en question kniga nuznaja i svoevremennaja (un livre necessaire et qui tombe a propos) resume l'opinion enthousiaste de Lenine a l'egard du roman Mat' de M. Gor'ki. La valeur du livre se reduit, cependant, a du papier hygienique: d'un cote se passe une vulgarisation de l'objet, de l'autre une confirmation de la justesse irrefutable du jugement absolu de Lenine. Le hero puise librement au repertoire de ses citations qui, utilisees hors de contexte, ont la fonction de fixer les traits de la masque du hero parodie qu'elles refletent, comme le pedantisme. Cet anekdot nous donne aussi la mesure du point jusqu'auquel la propagande avait deshumanise Lenine: Lenine est deplace comme une marionnette de contexte en contexte sans reussir a se debarrasser de son deguisement mythologique, qu'il est consequemment force a adapter a une situation humaine, d'ou l'hyperbolisation des traits les plus mythologises de sa personnalite par rapport au contexte.
Dans les anekdoty de ce cycle le decor des toilettes est un motif recurrent, toujours associe aux oeuvres litteraires ou aux journaux tenus en haute consideration par le regime, comme le quotidien Pravda:
Сидят в туалете в смежных кабинках Ленин и Дзержинский. Вдруг Ильич спрашивает через стенку:
- Феликс Эдмундович, а вы "Правду" выписываете?
- Нет, а что?
- Зря, батенька, зря... изрядено мягкая бумажка! 60
Si dans l'anekdot precedent le mecanisme "variabilite du contexte-stabilite du modele" se realisait dans la reproduction d'expressions clichees, dans cet exemple la stabilite du modele mythologise s'exprime dans le style du discours de Lenine, concis, efficace, propre a la presse ecrite, mais encore une foi pas indique a la situation vulgaire.
Certains anekdoty se basent sur un contraste entre la situation banalisee et l'application pointilleuse de la part de Lenine de ses principes revolutionnaires:
- Здгавствуйте, товагищ ходок, садитесь! Вы, конечно, бедняк?
- Да вот, Володимир Ильич, вроде бы и нет. Лощадь есть у меня...
- Ага, стало быть, товагищ, вы сгеднячок?
- Да как сказать, Володимир Ильич... Сыт каждый день, дети сыты, обуты, так что да... Две лощади у меня, вот так.
- Ага, стало быть, кулачок! Феликс Эдмундович, гасстгеляете, пожалуйста, товагища! 61
Lenine applique les lois revolutionnaires de facon pedante et scrupuleuse jusqu'a l'absurde, car il ordonne l'execution d'un homme qui reussi a survivre et a nourrir ses enfants et pour cela est classifie comme koulak. Le contraste est agrandi par son comportement linguistique refletant son image officielle, caracterisee par proverbiales politesse, bonte et magnanimite a l'egard du peuple, contredite pourtant par la facilite avec laquelle il decide les sentences de condamnation a mort. Il continue a s'adresser au delegue du kolkhoz par l'appellation tovarisc, bien qu'il l'aie classe comme ennemi du peuple et ordonne son execution, en produisant un absurde: la semantique du terme ne correspond pas a celle de son referent.
Les anekdoty donnent aussi une relecture de certains episodes de la biographie de Lenine, consideres etapes de la fondation de l'Etat sovietique, comme la grandiose proclamation de la victoire revolutionnaire a la station de Finlande, a Petrograd, dont Lenine garde un souvenir different de la representation diffusee par la propagande:
- Давайте выпьем, Владимир Ильич!
- Нет, батенька, больше не пью. Помню, как-то в апгеле нализались, занесло нас на финляндский вокзал, взобгался я на бгоневичок и такую хую нес - до сих пог газобгаться не можем!! 62
Cet anekdot procede a une vulgarisation directe de Lenine: apres l'incipit classique, le discours de Lenine se transforme en celui d'un ivrogne, qui s'exprime par un langage parle (zaneslo nas), parseme de termes dialectales (nalizat'sja), et obscenes mat (nesti takuju chuju) et aux yeux duquel l'acte revolutionnaire n'a ete qu'une bravade, accomplie par une bande d'ivrognes.
Un autre motif typique concerne la fondation du subbotnik (samedi communiste), une forme de travail collectif et volontaire, creee apres la revolution pour resoudre les problemes lies a la reconstruction du pays dans des conditions de penurie de ressources et moyens. Lenine est represente en train de trainer la poutre (brevno) pour donner le bon exemple aux travailleurs, comme temoigne par cet anekdot:
На пионерском сборе выступает с воспоминаниями участник первого ленинского суббота:
- Вывели нас с Федей из цека и повели на субботник. Подошел к нам маленький в кепке, с бородкой, кариавый и говорит:
- "Бегитесь за бгевно, товагищи!". Шел бы ты, говорим, на хуй! Федю с тех пор я не видел, а сам лишь месяц как вышел! 63 (162)
Cet anekdot introduit le theme de la sacralisation du hero a travers le genre des memoires. C'est le temoignage reel d'un individu qui a assiste personnellement aux entreprises heroiques de Lenine et pour cette raison a le pouvoir de confirmer les theories de la propagande. Mais le genre des memoires, dans les anekdoty, est objet d'une action destructrice de l'interieur, qui cree un absurde: les souvenirs des "temoins", au lieu de confirmer les contenus de la propagande, dans ce cas le respect et l'amour du peuple vers Lenine, les contredisent et la sacralisation du hero aboutit a un echec. Les deux ouvriers se desinteressent completement de Lenine et le traitent par gros mots: le contexte exerce une action retroactive sur l'image de Lenine, victime innocente du proletariat et au meme temps bourreau, qui sait bien comme se defendre, vu que les deux ouvriers a cause de leur comportement sont envoyes aux camps. Le genre des memoires est un motif recurrent du cycle, comme il fait partie du procede de sacralisation post mortem de Lenine, et lui aussi est objet de parodie selon le mecanisme du contraste entre le but glorificateur et sacralisant du genre et la nature miserable et obscene du temoignage.
La deuxieme typologie regroupe un certain nombre d'anekdoty relatifs a la culmination du proces de sacralisation de Lenine pendant les celebrations du centenaire de sa naissance, dont ils refletent l'obsession. Meme si dans cette typologie Lenine est toujours objet passif, ce qui correspond a une forme litteraire narrative plus que theatrale, le mecanisme qui caracterise les textes est le meme que celui de la typologie precedente. Il consiste dans le contraste entre le cliche ideologique concernant Lenine et sa situation d'application, qui dans le cas du centenaire correspond aux objets innombrables de la vie quotidienne, produits en honneur de Lenine:
Юбилейные продукты:
- водка "Ленин в разливе": Razliv est un village situe a 30 km. de Leningrad, ou Lenine s'etait cache en juillet 1917 a la suite de la faillite des manifestations organisees par les bolcheviks contre le Gouvernement Provisoire. Mais le nom propre en question est homophone du substantif rozliv "embouteillage", semantique activee par le referent de la vodka;
- кoлбаса "член Совнаркома": c'est une locution en kanceljarit qui utilise les premier sens du mot polysemique clen "membre d'une organisation", mais le mot a aussi un troisieme sens de "organe sexuel masculin", active par la forme du salami;
- одеколон "ленинский дух": le terme polysemique duch est utilise dans son sens courant de "parfum", active par l'eau de parfum, et dans son acception dialectale de "esprit", liee a l'image de Lenine defunt;
- пудра "прах Ильича": le terme polysemique prach est utilise dans le sens soutenu de "cendres" et dans son usage desuet de "poussiere", ce dernier refere a la consistance poussiereuse du produit cosmetique;
- мыло "по ленинским местам": il s'agit d'un cliche de la propagande qui renvoie aux excursions par les lieux de la biographie de Lenine, mais le mot mesto en russe est aussi un euphemisme pour indiquer les lieux du corps humain, acception evoque par le savon;
- бюстгальтер "ленинские горы" 64 : le cliche renvoie aux collines Vorob'ev, en 1924 renommees "collines de Lenine" et postule une similitude entre la forme des montagnes et celle d'un soutien-gorge.
Chaque locution compte deux composants semantiques en relation de non convenance de valeur, dans le sens qu'on combine deux registres opposes: l'objet, appartenant a la realite materielle de tous les jours, ce qui implique deja une premiere action de vulgarisation, et le cliche, tire du langage de la propagande et ayant comme referant le modele mythologise de Lenine. L'objet exerce une action retroactive sur le cliche, car, en s'imposant a lui comme nouveau referent, par sa nature concrete et materielle soumet le cliche a litterarisation, possible grace a la polysemie latente des termes qui le composent et qui peuvent se referer au meme temps a Lenine et a l'objet produit en son honneur. Cela provoque la transposition de l'image de Lenine dans un registre miserable et banale.
En resumant, le cycle des anekdoty sur Lenine fonctionne selon un mecanisme de contraste entre la stabilite de l'identite mythologisee de Lenine, qui se manifeste dans l'usage constant d'expressions clichees, du style de son discours, de l'application rigide des principes revolutionnaires, et la variabilite des situations ou il agit. Lenine garde son image officielle et agit sur la base de son modele mythologise en depit d'un contexte anormal et pas conforme aux textes de la propagande, ou se verifie toujours l'intrusion d'un element exterieur et profanant par rapport a l'aura de sacralisation, qui enveloppait les episodes de sa biographie. Il peut s'agir du decor d'une realite trop banale et parfois sordide, comme les toilettes, ou de details vulgaires, car concernant le corps humain et ses manifestations, qui entre autres en URSS etaient un des innombrables themes tabous, ou encore l'usage du lexique obscene mat, formellement interdit en epoque sovietique et qui acquiert un pouvoir desacralisant encore plus fort si sont les heros du regime a s'en servir. Le contraste entre personnage et contexte rend le premier absurde et le transforme en son double parodique, dont les caracteristiques sont celles qui emergent de la reaction de Lenine, hyperbolisees par leur application hors de contexte: pedantisme, fanatisme, pretention. Le Lenine des anekdoty est le resultat du travestissement de son modele mythologise sous les habits caricaturaux d'un fanatique de la revolution et des ideaux bolcheviques, avec le but de la profanation de l'image sacre et de la derision du personnage.
2.4.2 STALINE
A difference de Lenine, Staline n'a jamais ete un personnage duquel rire. Le tyran avait donne de soi une image si sanguinaire et cruelle que son seul souvenir faisait trembler les gens et personne n'osait se moquer de lui. En effet les anekdoty sur Staline sont tres peu et Staline n'y figure pas comme objet de derision, au contraire le dictateur y est represente dans toute sa puissance comme organisateur de la terreur, que les anekdoty visent a refleter. Le cycle lui dedie, en effet, a pour but la parodie de la terreur, personnifiee par Staline, qui par sa cruaute sans bornes et sa soif de pouvoir absolu cree une atmosphere de crainte a son egard et donc fournit le motif pour l'intrigue du texte.
Dans les anekdoty l'aspect exterieur de Staline est marque par ses usy (moustaches) et par son inseparable trubka (pipe), pour la perte de laquelle il n'hesite pas a inviter Lavrentyj Pavlovic, Berija, successeur de F.E. Dzerzinskij a la police secrete, a executer les coupables. Sa masque linguistique reproduit son accent georgien et est caracterisee par les stereotypes linguistiques que dans les histoires droles les russes attribuent a la facon dont les georgiens parlent en russe, meme si, sauf l'accent, le discours de Staline et celui du georgien ont peu en commun. Il serait difficile imaginer un Staline prononcant le cliche linguistique de la masque du georgien slusaj, da ? (tu ecoutes, oui ?), indice de sa tentative d'etablir le contact avec l'interlocuteur; le discours de Staline au contraire reflete son attitude dictatoriale, son intransigeance et la conscience d'etre un tyran. En voila les traits fondamentaux:
- le son /o/ en position atonique est realise comme /a/ a la place de /?/: eta, charosij, tavarisc (cet, bon, camarade);
- les consonnes sont prononcees sans differentiation comme dures, ce qui est indique par les voyelles qui les suivent: palytyceski, istaryceski, eso (politique, historique, encore);
- les consonnes doubles sont prononcees comme individuelles: kamentator (commentateur);
- les signes faibles sont omis: balsoj (grand);
- usage frequent du verbe rasstreljat' (fusiller) qui se lie aux champs semantiques de la violence et de la mort et du vocatif tovarisc (camarades).
Les anekdoty sur Staline ne reproduisent pas des moments historiques concrets dont il a ete protagoniste. Ils representent le tyran dans le decor du travail quotidien, ou son occupation preferee est de faire fusiller ceux qui, pour des motifs futiles, ne se conforment pas a ses dispositions ou se tachent de petits crimes. Personne parmi les collaborateurs qui l'entourent n'a le courage de s'opposer a ses decisions en se limitant a les approuver, comme requis par le protocole, par les burnye aplodismenty (vifs applaudissements), qui concluaient toutes ses affirmations, comme dans cet anekdot:
Сталин делает доклад. Вдруг в зале кто-то чихнул.
- Кто чихнул? (молчание)
- Пэрвый ряд, встать. Расстрелять! (бурные аплодисменты)
- Кто чихнул? (молчание)
- Второй ряд, встать. Расстрелять! (долго не смолкающая овация)
- Кто чихнул? (молчание)
- Трэтий ряд, встать. Расстрелять! (бурная овация всего зала, все встают, возгласы "слава великому Сталину")
- Кто чихнул? (молчание)
- Я, я чихнул!
- Будьти здаровы, тавариш! 65
Cet anekdot est le portrait de la Terreur. Le texte se construit sur l'incomprehension de la part du public de la question kto cichnul ? (qui a eternue ?) qui potentiellement cache deux possibles intentions de Staline a l'egard du responsable: lui repondre "a vos souhaits", ou le punir pour avoir derange la lecture de son discours. Cela engendre un double paradoxe: d'un cote la reaction de la foule, qui, craignant une punition et paralysee de peur, se lance en manifestation d'enthousiasme extreme vers les decisions sanguinaires de Staline, de l'autre la reaction de colere du hero, exageree par rapport au contexte banal et suscitee non pas par l'eternuement en soi mais par le fait que personne ne repond a sa question, ce qui equivaut a un acte de desobeissance de la foule. Si Lenine apparait grotesque et ses traits hyperbolises par l'action retroactive du contexte, Staline au contraire n'est pas objet mais sujet actif, organisateur du denouement de l'action et le contraste entre son comportement sanguinaire et la banalite de la situation ne vise qu'a mettre en evidence la portee de sa cruaute et de son pouvoir absolu. A la suite de ce contraste la semantique du personnage se reduit aux concepts de la terreur et de la cruaute, qui acquierent une nuance encore plus terrifiante. Staline ne se transforme pas en son double parodique, tout au plus on rie cyniquement de sa dictature, en cherchant a mettre en evidence son absurdite :
Объявлены три премии за лучший проект памятника Пушкину. Третью премию получил проект - Сталин читает Пушкина.
- Эта верна истарычески, - сказал Сталин - но не верна палытычески: гдэ генэральная лыния?
Вторую премию получил проект - Пушкин читает Сталина.
- Эта верна палытычески, но не верна истарычески: ва врэмя Пушкина таварищ Сталин еще нэ пысал книг.
Первую премия получил проект - Сталин читает Сталина. 66
Staline reste fidele a son modele de tyran absolu: l'extremisme irrationnel du pouvoir dictatorial le porte a choisir, en depit du bon sens, comme monument en hommage a Puskin une representation de soi-meme en train de lire ses memes ?uvres, ce qui cree un absurde evident.
Le cynisme des anekdoty sur Staline s'attenue dans certains d'eux qui representent la vie du dictateur dans l'au-dela, d'ou il continue a s'entremeler aux affaires du pays, surtout, lorsque la prise de pouvoir de la part de Chruscev et le XX congres du PCUS en 1956, il assiste a la destruction du culte de sa personnalite. Ne pouvant renoncer a son role de guide supreme, il franchit les limites qui separent les morts des vivants et fait entendre sa voix:
После переименования Сталинграда в Волгоград с того света пришла телеграмма: "Согласен. Иосиф Волгин". 67
L'anekdot se construit sur la base de l'artifice de la paretymologie applique au nom de Staline, en honneur duquel en 1925 la ville de Caricyn68 fut renommee Stalingrad. A la suite du XX congres du PCUS et de la denonciation des crimes staliniens, Stalingrad fut rebaptisee Volgograd pour sa position geographique allongee sur la fleuve Volga. Staline, ne pouvant pas supporter un tel outrage, bouleverse le procede traditionnel de denomination d'une ville sur la base du nom d'une personnalite illustre et change son propre nom en fonction de celui de la ville en Volgin: si Volgograd est le resultat de l'union de la racine Volga plus grad (racine slavo-ecclesiastique correspondante a celle slavo-orientale avec pleophonie gorod), Volgin garde la meme racine, a laquelle est ajoute le suffixe des noms de famille russes -in. Le seule evenement historique lie a Staline et reflete dans les anekdoty est justement la destalinisation, a laquelle se lie son auteur, N.S. Chruscev, antagoniste indirect d'un Staline "posthume":
Убитый Кеннеди приходит на тот свет. Открывает дверь и в ужасе шарахается от Сталина, стоящего за дверью с поднятым топором.
- Нэ бойся, прахади, нэ тэбя жду! 69
C'est le portrait d'un Staline en colere avec son successeur, qui, malgre ne soit directement nomme, est indique implicitement par la presence de Kennedy, l'antagoniste "capitaliste" du sovietique Chruscev.
Donc les anekdoty sur Staline sont caracterises par le mecanisme general de la disproportion de valeur entre la reaction du hero et la situation, disproportion qui pourtant ne provoque pas la transformation caricaturale du personnage, mais la mise en relief de sa cruaute et de la terreur instauree.
2.4.3 CHRUSCEV
Au fur et a mesure que les annees passaient et les leaders se succedaient, se reduisait la charge mythologique de nouveaux chefs et consequemment l'attitude de veneration du peuple a leur egard. Si Lenine et Staline au moins se presentaient au peuple de facon correspondante a leur image mythologisee d'etres superieurs, parfaits dans tous leurs actes et gestes, dans des decors fort symbolises, presque mystiques, a partir de Chruscev le contraste entre l'image mythologisee du chef et sa vraie identite devint visible a chacun, car l'humanite de ces individus, et surtout leur inadequation a la charge revetue, percaient a tout moment des moindres gestes et mots.
N.S. Chruscev etait en soi un personnage anecdotique, qui par sa physionomie, sa facon de parler et surtout sa gestion des affaires politiques, economiques et culturels du pays apparaissait pas du tout a l'hauteur de son role. Le cycle d'anekdoty, lui dedie, s'articule, en effet, sur un seul motif qu'on pourrait definir, en reprenant une expression tiree de memes anekdoty, razoblacenie gosudartsvennoj tajny (revelation du secret d'Etat) que le chef du pays est un durak, identite qui transparaissait non seulement des erreurs commis dans la gestion de l'Etat, mais aussi de tout detail de sa personnalite.
L'aspect physique et maladroit de Chruscev ne pouvait pas passer inobserve. Les traits qui le caracterisent dans les anekdoty sont trois: les oreilles (usi) en feuille de chou, la calvitie (lysina) et son corps, petit et rond, qui, uni a son absence de culture, stimulait une comparaison spontanee avec svin'ja (porc). Sa masque linguistique reflete sa manque d'instruction et, a difference de Lenine et Staline, ses particularites phonetiques ne sont jamais reproduites dans ses repliques, caracterisees tout au plus par l'usage de mots obscenes, elles sont plutot l'objet direct de la derision:
- le phoneme /z/ est prononce comme molle, typique des gens peu instruits et il s'unit a une reduction de deuxieme degre des phonemes vocaliques: kamuniz'm (communisme);
- usage de mots obscenes mat, entre autres transcrits erronement, que Chruscev voudrait inserer dans ses discours publiques: za sranec (con), v
- pokazat' kuz'kinu mat'70 : phraseologisme prostorec'e (dialectal) exprimant l'attitude menacante de Chruscev a l'egard de l'Amerique;
- usage d'exclamations parlees comme vy cto, s uma sosli?? (quoi, vous etes fou!) et d'un langage dialectale peu indique au discours d'un politicien important comme lui;
- la tendance a parler beaucoup, mais sans dire rien de significatif.
Le cycle d'anekdoty sur Chruscev se divise en deux typologies, les deux finalisees a une reinterpretation de l'identite du personnage et a sa transformation en durak.
Dans les anekdoty de la premiere typologie Chruscev est protagoniste d'une piece theatrale, qui reproduit un episode historique lie a sa biographie. Le texte se construit generalement autour d'un seul motif cliche, celui de son ignorance et de son absence de culture et, malgre cela, sa manie de fourrer le nez dans les affaires culturels, dont il ne comprenait rien, ce qui exprime aussi l'absurdite du pouvoir sovietique detenu par un individu mediocre qui pourtant avait le droit a la verite absolue:
Хрущев осматривает выставку картин в Манеже:
- Что это за дурацкий квадрат и красные точки вокруг?
- Это советский завод со спешащими на работу трудящимися!
- А это что за дерюга, измазанная зеленым и желтым?
- Это колхоз, в котором созревает кукуруза!
- А это что за синяя уродина?
- Это "Обнаженная" Фалька.
- Обнаженная Валька? Да кто ж на такую Вальку захочет залезть? А это что за жопа с ушами?
- Это... это зеркало, Никита Сергеевич! 71
Cet anekdot reflete l'evenement reel de l'exposition d'art abstrait qui se tint a Moscou dans la salle du Manege en decembre 1962. Chruscev, profondement irrite par le fait de ne rien comprendre des tableaux exposes, exprima un jugement de condamnation a l'egard de cet art intellectuel et incomprehensible aux masses, au niveau desquelles il se baissait automatiquement. Le celebre piderasy (pederaste), prononce par Chruscev a cette occasion-la, dans l'anekdot est reflete par une masque linguistique dialectale et parsemee de termes obscenes qui denote un individu peu instruit, plutot grossier et prive d'esprit critique au point de ne pas reconnaitre sa meme image, refletee dans le miroir. Chruscev procede automatiquement a sa vulgarisation par l'usage de l'expression obscene et offensive zopa s usami (cul aux oreilles), dans les anekdoty de ce cycle euphemisme pour le designer, inspire par la physionomie de son visage. Les anekdoty ne font qu'accroitre les traits d'ignorance et grossierete de Chruscev en le faisant agir dans un contexte noble: on peut remarquer que l'anekdot profite aussi bien de la vulgarisation du contexte pour hyperboliser les traits mythologises du personnage, comme dans le cas de Lenine, que de la creation d'un contexte raffine et noble pour la representation grotesque de l'ignorance de Chruscev. Le contraste exagere les defauts, en les rendant grotesques et en en faisant les traits distinctifs du double parodique du leader.
La deuxieme categorie d'anekdoty est typique de ce cycle: objet de derision n'est pas le personnage dans son integrite, mais, selon un procede metonymique, a chaque foi un detail de sa personne. En effet, a difference des anekdoty des cycles precedents, chez Chruscev les traits de la masque se detachent du corps et, hyperbolises, deviennent une sorte d'euphemismes qui indiquent le hero dans sa totalite. A devenir independants sont tous les petits details qui ne se conforment pas au standard de leur categorie, avant tout les defauts physiques et les particularites phonetiques du leader.
La derision de ces traits est effectuee dans les anekdoty a devinette. Ces anekdoty commencent par une question du genre cto obscego mezdu (qu'est-ce qu'il y a de commun entre), kakaja raznica (quelle est la difference), pravda li (est-t-il vrai que), cto takoe (qu'est-ce que c'est), qui invite a deviner non pas un objet, finalite de la devinette classique, mais sa representation dans la conscience de masse, symbolisee par l'individu qui pose la question et qui est le seul a pouvoir fournir une reponse, toujours differente de celle traditionnelle. La reponse contient la nouvelle interpretation du trait de la physionomie de Chruscev, determinee par un mecanisme de semantique visuelle et elaboree sur la base de l'image concrete et tangible dans la realite, a laquelle renvoie l'argument de la question. Le detail reinterprete provoque la transformation de l'identite officielle de Chruscev.:
- Чем отличается заяц от Хрущева?
- Заяц трепаться не любит. 72
Cet anekdot se base sur deux traits caracteristiques de Chruscev: ses oreilles a feuille de chou et son attitude a parler sans arret et sans sens. La question posee apparait a un premier regard illogique, comme elle concerne les differences entre deux champs semantiques, "Chruscev" et "lapin", qui apparemment n'ont pas de traits en commun. Selon la logique carnavalesque des anekdoty et selon le mecanisme de cette typologie textuelle, qui se base toujours sur l'image de la realite correspondante aux mots, il suffit un seul detail pour identifier deux concepts aux antipodes, comme dans ce cas: Chruscev disparait completement derriere ses oreilles hyperbolisees, en se transformant en lapin. La fait que le terme de comparaison de Chruscev soit un animal provoque automatiquement la vulgarisation du leader. Les autres details protagonistes sont la calvitie et le corps de Chruscev :
- Как бороться с лысиной?
- На политические вопросы армянское радио не отвечает. Это также относится к присланному вопросу "может ли свинья быть лысой?". 73
Cet anekdot est tres subtile: l'image correspondante au terme lysina (calvitie) est associee a celle de Chruscev, qui etait completement tondu et le terme devient un euphemisme pour l'indiquer indirectement. Le meme se passe avec svin'ja (cochon), dont l'association avec Chruscev est suscitee par la physionomie replete du leader et par sa manque de culture et d'education. La comparaison a un cochon est du reste motif recurrent du cycle:
- Дядя Во, - сказали вьетнамские октябрьятя своему гостю Ворошилову - передайте привет тете Фу и дяде Хрю. 74
Le texte se construit sur une homonymie onomatopeique. Le stereotype sur la facon dont les vietnamiens parlent russe permet de jouer sur l'homophonie existante entre les noms des personnalites historiques russes, deformes en vietnamien, et certaines interjections propres a la langue russe: Fu est le ministre de la culture E. A. Furceva, celebre pour son ignorance, mais aussi une interjection au sens negatif, qui indique quelque chose de mauvaise qualite comme "Pfui!"; Chrju est N.S. Chruscev et au meme temps le terme onomatopeique designant le grognement du cochon; Vo est K. E. Vorosilov, marechal qui participa a la Revolution et a la Deuxieme Guerre Mondiale, duquel le peuple gardait un souvenir positif comme montre la coincidence de son nom avec l'interjection vo, qui, accompagnee par le geste du pouce en haut, a le signifie de "super".
Objet du rire sont aussi les particularites phonetiques et certaines expressions qui caracterisent sa facon de parler:
- За что сняли Хрущева?
- За семь "к": культ, камунизьм, кукурузу, Китай, кубинский кризис и Кузькину мать. 75
Cet anekdot se construit sur l'absurde. Sans aucune differentiation il reunit sous la categorie des motifs a la base de la destitution de Chruscev les graves erreurs commis en matiere economique et des affaires etrangers et deux traits caracteristiques de sa masque linguistique kamuniz'm (communisme) et Kuz'kinu mat' (montrer de quel bois on se chauffe) qui proprement n'ont eu aucune influence sur la gestion de l'Etat. En realite la logique de cet anekdot reside dans le fait que les details enumeres sont signes de la gestion politique de Chruscev.
Un motif recurrent du cycle est la "defenestration" de Chruscev en 1964, quand du jour au lendemain le gensek perdit son poste au Kremlin:
- Что общего между Хрущевым и космическим караблем "Восход-1"?
- Они вылетели почти одновременно. 76
Cet anekdot se base sur une comparaison absurde entre deux objets incomparables selon la logique normale, car appartenant a deux champs semantiques separes. Dans l'imaginaire populaire ils sont cependant unis par un trait considere pertinent, l'action exprimee par le verbe polysemique vyletet', dont le signifie courant "s'envoler" se refere au vaisseau cosmique et celui prostorec'e "etre chasse du poste de travail" a Chruscev.
L'identite de Chruscev se transforme en celle du "sot" a travers la reinterpretation des details individuels qui la composent et qui dans les anekdoty deviennent objets autonomes de la derision comme symboles du personnage. Ils s'associent a des champs semantiques leur etrangers mais les limites entre eux s'effacent. Les details concernant Chruscev s'enrichissent de la semantique et du sens des elements auxquels ils sont lies dans le texte, qui vont a se substituer a leur signifie traditionnel en provoquant la reinterpretation indirecte de son image comme de celle d'un durak.
2.4.4 BREZNEV
De meme que pour Chruscev, le cycle d'anekdoty sur Breznev s'articule autour du motif de la revelation du secret d'Etat que le chef du pays est un incompetent. Les raisons de cette incompetence chez les deux politiciens ont cependant des racines differentes: Chruscev est un durak, alors que Breznev est plutot un cucelo (pantin), vu que etre un "sot" implique quand meme une certaine activite mentale et une attitude active, alors que Breznev est un personnage totalement passif.
Avant tout il faut preciser les signes qui caracterisent sa masque. De son aspect physique on remarque les sourcils (brovi), touffues au point d'etre comparees aux moustaches de Staline, les innombrables decorations qui decouvraient sa poitrine (ordena) et sa rigidite de mouvement. Comme accessoires il ne se separe jamais, chez lui non plus, de sa spargalka (aide-memoire), sans laquelle il serait paralyse et ne pourrait pas accomplir les taches liees a son role de chef d'Etat, vu que sur cette petite feuille est ecrit le contenu de ses discours. Sa masque linguistique est caracterisee par une generale incapacite d'articulation phonetique, imitee dans les anekdoty qui le representent en train de prononcer un discours officiel, alors que si la conversation se passe dans un milieu non officiel elle est omise:
- incapacite de prononcer les termes trop longs, qui manifeste son origine ukrainienne, d'ou les fameux sis'ki-masis'ki, pis'ki-misis'ki, komusisis'ki, sosis'ki srany77 ;
- le son /g/ est prononce aspire a la maniere ukrainienne;
- complete absence d'intonation, tant que a la soiree en honneur de la lutte contre le sionisme il lit tovarisci sionisty! a la place de tovarisci! Sionisty:(camardes! Les sionistes:), la platitude de son intonation revele le fait qu'il se limite a lire un discours prepare par autrui sans meme en connaitre le contenu;
- usage continu du vocatif dorogie tovarisci (chers camarades) en ouverture a tous ses discours officiels.
Comme chez Chruscev, pour le cycle sur Breznev aussi on peut parler d'une double typologie d'anekdoty. La premiere regroupe les textes "pieces theatrales", qui representent le leader pendant la realisation des rituels sovietiques, en train d'accomplir ses charges de gensek au milieu d'un discours publique:
Брежневу на приеме дают листок читать:
- Дорогая Индира Ганди!
Его референты:
- Леонид Ильич, Леонид Ильич, не Индира Ганди!
- Дорогая Индира Ганди!
- Леонид Ильич, это не Индира Ганди!
- А кто это?
- Это Маргарет Тэтчер!
- Знаю, что Маргарет Тэтчер, но тут написано "Дорогая Индира Ганди!" 78
Le comique de cet anekdot se construit sur un paradoxe. Breznev s'adresse a une personne qui n'est pas la et, malgre cela, il agit en suivant de maniere meticuleuse le protocole obsedant sans se rendre compte de l'absurde de la situation qu'il cree. Cet anekdot exemplifie la structure fixe caracterisant les textes du cycle: Breznev lit un discours dans une situation precise, a laquelle se refere le contenu de son discours, mais un imprevu s'insinue a changer la semantique du contexte, qui, par une action retroactive, detruit le lien entre les affirmations du leader et leur referents. Breznev ne peut pas adapter son discours a la situation changee et la destruction du lien referentiel montre que sous la masque en realite se cache le vide: la semantique du gensek, qui theoriquement aurait du caracteriser son personnage, apparait inexistante. Il suffit un banal imprevu dans la realisation du rituel pour laisser emerger le vide du personnage et le redessiner comme une sorte de robot, programme pour etre secretaire general et qui repond aux instructions lui envoyees, jusqu'a ce que le systeme ne se met hors circuit a cause d'un element non programme. Son intellect est rempli par ses redacteurs de structures linguistiques sans contenu, que Breznev produit selon les instructions recues, mais qui pour lui n'ont aucun signifie et surtout aucun referent, comme demontre par ses repliques:
Брежнев приходит на Манеж, смотрит на картины и там в углу висит просто большое зеркало. Он к нему подходит, долго и внимательно его разглядывает и говорит:
- А это что за картина?
- Это, Леонид Ильич, зеркало!
- Да!? Как говорят, плохое кино... 79
L'absurde parcourt l'interaction dialogique entre Breznev et son secretaire. Dans le contexte de l'expositions artistique le miroir apparait comme l'imprevu, le "non tableau" que Breznev, programme a la production de jugements a propos de la peinture, ne reconnait pas. Et voila le premier absurde: l'objet miroir est defini "tableau", malgre il n'y aie aucun partage de traits semantiques entre mot et objet. Le secretaire rectifie le jugement faux de Breznev et restitue au miroir sa vraie identite, mais a ce moment surgit le deuxieme absurde: le mot "miroir" chez Breznev est associe a un film sur la base d'une homonymie avec le titre du film Zerkalo (Le miroir) de A. Tarkovskij. Ce jugement est completement absurde, car il y a une absence totale de lien entre l'objet concret et son interpretation fournie par Breznev. Comme le gensek incarne le vide, il est tout a fait normal que pour lui les termes "tableau", "miroir" et "film" resonnent dans sa tete sans trouver echo semantique et pour cette raison deviennent interchangeable, malgre l'apparence contredise leur usage. Signe du vide de Breznev est son discours, que parfois les anekdoty transforment en repetition de sons sans sens:
Брежнев зачитывает приветсвие спортсменам на Олимпийских играх 1980 года:
- О!О!О!
Референт ему шепчет:
- Это не "О" а олимпийские кольца! Текст ниже! 80
... это тоже из серии анекдотов, в которой Брежнев читает по бумажке и читает:
- ОХХООХОХО...
- Ой, извините, Леонид Ильич, это мы в крестики и нолики играли! 81
Dans les deux anekdoty cites Breznev ne distingue pas le texte du reste qu'il y a sur la feuille parce que pour lui les mots ne sont que de successions de lettres et son langage se transforme en un ensemble de sons desarticules, prononces de facon inconsciente, presque automatique.
Les anekdoty de cette typologie se construisent sur un mecanisme d'inadequation de Breznev a la situation. Breznev, sur la base de son role de gensek, respecte le protocole du rituel sovietique a la lettre, en le suivant pas a pas et en ne s'ecartant jamais de lui, meme si l'intrusion d'un element imprevu change completement la situation et cree une contradiction par rapport a son comportement. Il ne peut pas resoudre cette contradiction, car cela impliquerait un acte de volonte autonome et impossible, vu que le personnage en realite est vide. Sa fragile identite de leader, construite par les responsables ideologiques de la propagande, ecroule devant l'element imprevu et la consequente contradiction entre ses mots et le referent reel. Le personnage perd son identite artificielle et reste completement vide, dont signe est le langage meme. Ses mots sont un ensemble de sons, qu'il est appele a reproduire de facon automatique, sans y comprendre rien, parce pour lui ils ne signifient rien. Meme si dans la meticulosite du respect de la propre image officielle Breznev et Lenine pourraient etre en quelque sorte compares, entre les deux personnages en realite aucune comparaison ne peut exister, comme montre par les deux differents rapports entre leur affirmations et les referents. Les deux agissent hors de contexte, mais Lenine est un personnage vif et autonome car ses mots designent toujours un referent concret et existant, c'est a dire qu'il reagit consciemment a la situation, tandis que Breznev n'est qu'une poupee qui agit de facon automatique, se trouvant remplie d'une semantique artificielle et prete a disparaitre a la premiere situation non conforme au modele, vu que ses affirmations n'ont aucun referent dans la realite. L'image de la poupee est particulierement explicite dans cet anekdot:
Брежнев выступает по телевидению:
- По Москве распространяют ложные слухи, будто вместо меня возят чучело. Ответственно заявляю: это клевета! На самом деле вместо чучела возят меня! 82
Cette typologie d'anekdoty s'alterne a la devinette, ou le corps de Breznev est decompose en ses elements constituants:
- Какая у Брежнева партийная кличка?
- Бровеносец в потемках. 83 (225)
Ici on se moque indirectement de Breznev selon le procede de l'invention: Breznev est affuble d'un surnom sur la base des details de son aspect physique, parmi lesquels se distinguent les sourcils enormes (brovi) et les decorations qui lui recouvraient la poitrine en le rendant "cuirasse" (bronevoj). Le surnom invente est modele sur la base de la locution Bronenosec Potemkin et evoque les deux details: le terme brovenosec s'obtient en substituant a la racine brone- le mot brovi (sourcils), avec lequel elle est en assonance; brovi s'unit a la racine -nosec indiquant le porter quelque chose et le terme transforme son signifie litteral de "porteur de cuirasse", qui evoque la poitrine cuirassee de Breznev, en "porteur de sourcils". Le passage de Potemkin a v potemkach s'effectue encore une foi par assonance et devient metaphore de la direction politique de Breznev, qui effectivement ne suivait pas une ligne precise, la fameuse general'naja linija, et plus que gouverner le pays se limitait a respecter le rituel et le protocole. La locution est devenue ensuite un terme argotique. Voila un autre exemple:
- Что такое "бормотуха пять звездочек"?
- Брежнев. 84
La question posee est licite vu que cette locution apparait paradoxale: elle uni dans un meme contexte semantique deux concepts contradictoires, signifies par bormotucha (piquette), terme dialectale qui designe une sorte de vin fait a la maison et de mauvaise qualite, et par pjat' zvezdocek (cinq etoiles), attribut du cognac, dont il indique la qualite excellente. Ces termes sont reinterpretes sur la base de leur sens litteral et de l'image a laquelle ils renvoient, ainsi la contradiction disparait et la locution se transforme en euphemisme pour Breznev: bormotucha derive du verbe bormotat' (bredouiller), qui designe une particuliere facon de parler, a voix baisse, rapidement et en articulant mal les sons, ce qui correspond aux particularites phonetiques du discours de Breznev, pjat' zvezdocek sont les decorations affiches a sa poitrine.
Comme a confirmer le vide qui se cachait derriere la masque dans la typologie precedente, ici la physionomie du personnage se decompose facilement en details-morceaux, hyperbolises et prives du lien avec leur tout, capable de creer une nouvelle identite, qui se substitue a la precedente.
2.5 LES HEROS CULTURELS
Il s'agit de personnages inventes, dont le modele est fourni non pas par le contexte historique reel mais par des avant textes, tres souvent cinematographiques et connus aux membres d'une societe donnee, car faisant partie de son patrimoine culturel. Le cinema, comme deja indique dans le premier paragraphe de ce chapitre, est sans doute le moyen le plus puissant et efficace pour la creation de mythes modernes. En epoque sovietique, surtout, l'art cinematographique, soumise a la commande totalitaire de l'Etat, se developpait selon les criteres du realisme socialiste, parmi lesquels la transparence et la lisibilite du message permettaient la diffusion et la reception universelles du nouveau mythe de l'homme sovietique. Valeureux et courageux, il sacrifie sa vie a la patrie et il jouissait de grande popularite aupres des citoyens surtout en vertu de son etre en quelque sorte proche a l'homme de tous les jours.
Le personnage de ce type d'anekdoty, etant mythologique, incarne une sorte d'embleme aux traits typifies, l'universalisation d'une experience particuliere et pour cette raison il est, dans une certaine mesure, previsible. En effet, il garde sa nature mythologique meme dans l'anekdot, en dehors de son espace originel, ou il reste fidele aux traits fixes de son modele, qui le rendent facilement reconnaissable. Son comportement, dicte par le modele, resulte cependant non correspondre a la situation ou il se trouve, comme montre par ses jugements a propos d'elle. Le personnage se transforme alors en son double, une unite semantique absurde, aux traits prototypiques grotesques, qui, reorganises et redistribues, deviennent signe de sa nouvelle identite et qualifient son nouveau role a l'interieur de l'anekdot. Cette transformation du personnage en son double se presente comme une sorte de "remythologisation" du mythe originel: le personnage devient un autre mythe et sous ses nouvelles apparences, correspondantes d'ailleurs a celles du folklornyj durak ("sot" du folklore), il peuple a toujours l'espace des histoires droles. La particularite des anekdoty sur les heros culturels consiste justement dans le fait que ces textes sont valables et actuels en toute epoque et en tout lieu: le folklornyj durak est un archetype universel, dont les traits distinctifs se retrouvent en toute societe, ce qui permet au personnage de s'adapter facilement aux contextes historiques en changement, restant toujours "a la mode".
2.5.1 CAPAEV
Vasilij Ivanovic Xapaev, courageux combattant de l'Armee Rouge pendant la Guerre Civile, est un des heros parmi les plus celebres par la propagande et protagoniste d'un cycle d'anekdoty qui continue a exister aussi de nos jours85 .
Le fait que Xapaev seul, parmi les nombreux heros de la Guerre Civile, soit devenu un personnage des anekdoty n'est pas casuel: le Capaev des histoires droles n'est que le point d'arrive d'un chemin a travers plusieurs etapes, qui ont favorise sa canonisation et sa transformation en mythe. La premiere etape commence le lendemain de sa mort, dont les circonstances presentent deja des traits mythologiques: blesse par les ennemis et englouti par les eaux menacantes de l'Oural, Capaev disparait sans laisser traces. Le peuple, ne pouvant pas se resigner a sa perte, devient auteur de nombreux recits legendaires. Parmi eux un narodnyj skaz86 avec le titre Pro Capaja raconte comment, apres avoir traverse le fleuve et traque par les cosaques, Xapaev reussit a s'enfuir dans la foret, ou un vieux kirghize vint en son secours, le nourrit, lui donna cheval, fusil et sabre. Des lors chaque fois que le peuple etait attaque, Xapaev arrivait en son secours et, le peril passe, il disparaissait dans le mystere. Il s'agit de la "folklorisation" du hero.
La deuxieme etape coincide avec la publication en 1923 de la povest' de D. A. Furmanov Xapaev, qui fournit des informations documentaristes sur la vie du combattant et en trace un portrait realiste et historiquement exacte, jusqu'a ce que dans les annees 30, a la suite de la campagne de propagande sur les heros du peuple et sur leur gestes, sort le film Capaev (1934) des freres Vasilevy, qui le transforme en un hero culturel. Au cinema Xapaev sort pour la premiere foi de son contexte originel et commence a traverser genres et thematiques en devenant ainsi protagoniste de la derniere etape, celle des anekdoty, qui lui ont donne l'immortalite. Xapaev a ete le premier personnage provenant d'une ?uvre artistique a abandonner son contexte pour traverser genres differents et devenir ainsi un modele pour les cas pareils qui suivirent, comme celui de Qtirlic, de Sherlock Holmes et Watson, etc.: "... все эти герои вышли из чапаевской шинели" 87 [Lur'e, 1991: 8].
Malgre l'origine du cycle soit mysterieuse, son apparition juste apres les anekdoty sur Lenine, en 1970, suscita plusieurs hypotheses, visees a expliquer pourquoi seulement presque quarante ans apres la campagne ideologique sur les heros de la Guerre Civile et immediatement a la suite de l'explosion du cycle sur Lenine Capaev se transformait en le Vasilij Ivanyc des anekdoty. Une de nombreuses conjectures presuppose le cycle cree directement par les fonctionnaires du KGB afin de contraster le flux d'anekdoty sur Lenine88 , comme pour s'opposer a la voix populaire en utilisant ses memes armes, un nouveau cycle d'anekdoty afin de distraire l'attention de Lenine et l'attirer sur un nouveau hero. E. Draitser [1989b: 122] reproduit une version encore plus inquietante, selon laquelle les fonctionnaires de la CIA auraient compose ces anekdoty, pour destabiliser les fondements heroiques de l'ideologie communiste. Enfin il y a meme qui identifie les responsables aux dissidents: "Кто-то мне рассказывал, что анекдоты эти начал создавать кто-то за границей. Может быть кто-то из диссидентов." 89 . De toute facon il ne s'agit que de voix, impossibles a confirmer, et meme s'il y a reellement eu un auteur precis, son emprunte personnelle s'est rapidement effacee devant la "collectivisation" folklorique des anekdoty.
Les anekdoty s'inspirent surtout de l'image cinematographique de Capaev: un hero revolutionnaire, energique, perseverant, sur de ses capacites et de l'avenir radieux de son pays, car pousse par l'enthousiasme et la foie en les nouveaux ideaux bolcheviques, par un optimisme intarissable, par vitalite et esprit combatif, par des convictions sinceres et une volonte qu'on ne peut briser. La propagande ne cachait pas l'origine paysanne du hero, et, malgre le voile mythologise qui le recouvrait, soulignait de lui les qualites qui plus le rapprochaient du peuple simple, invite a s'identifier a lui selon le cliche u nas geroem stanovitsja ljuboj (chez nous chacun peut devenir un hero), comme le bon sens, l'ignorance, la grossierete et la vulgarite typiques du muzik. Sont justement ces traits a devenir dans les anekdoty les signes distinctifs de Capaev parodie et les motifs a la base de l'intrigue.
Capaev dans les anekdoty se presente sous les semblances mythologisees lui conferees par la propagande: sur son coursier, le sabre a la main (sablja ou saska), en train de saskoj/sabel'koj rubit' (frapper par le sabre). Sa masque linguistique vise a refleter son ingenuite et sa petite intelligence. Si son prototype cinematographique et litteraire s'exprimait par un langage prostorec'e, indice de son origine paysanne et de son analphabetisme, dans les anekdoty Capaev, a cote des dialectalismes, utilise des mots obscenes, qui exagerent ulterieurement son ignorance et sa grossierete:
- usage du langage obscene mat, qui cependant pour Capaev correspond a un langage tout a fait neutre:
- Твою мать! - сказал Чапаев и смачно выругался. 90
- usage de termes familiers comme: sabel'ka, nutrom (sabre, instinctivement);
- usage de dialectalismes : promazat', ljapnut', oblevannyj (manquer son coup, lacher une bourde, sale de vomissement);
- usage d'archaismes: srezat'sja na ekzamene (recaler);
- erreurs, surtout dans l'usage de termes etranges par rapport a ceux lies a son habitat naturel : akademiev a la place de akademija (academie);
- erreurs dans la pratique des langues etrangeres, comme l'yiddish: le voeu sana tova (bonne annee) recoit comme reponse voistinu tova, melange de yiddish et russe, de tradition juive et orthodoxe, vu que l'expression renvoie a voistinu voskres, salut saint de la Paque orthodoxe;
- usage de constructions dialogiques qui refletent les sentiments forts et les emotions eprouvees, comme: nu i (dub) ze ty, Xapaev!R da, (krepok) ja esce, Pet'ka! 91 .
Capaev est entoure avant tout par les personnages qui peuplent son avant texte:
- Pet'ka Isaev: ordinarec Pet'ka (ordonnance Pet'ka), personnage cree par la povest' d'ou ensuite il est passe au film. Si dans le roman l'amitie entre les deux heros est seulement esquissee, dans le film, et par consequence dans les anekdoty, elle est un motif central, Pet'ka est toujours a cote de Xapaev et ensemble ils forment le couple inseparable hero-adjutant;
- Anka: elle est l'heroine creee par le film, ou elle joue le role de mitrailleuse. Dans les anekdoty elle est reduite a l'objet des avances sexuelles de la part de Pet'ka et de Xapaev;
- Furmanov: il est commissaire du peuple, il agit avec le couple Capaev-Pet'ka, duquel il est compagnon de bouteille, ou en qualite de representant de la lois.
A cote de ce systeme de personnages fixes, Capaev est accompagne aussi par des personnages variables et temporaires, qui dans la plupart des cas sont objet passif de ses repliques, et qui appartiennent a l'epoque historique pendant laquelle les anekdoty circulent, dont ils deviennent signe en permettant la contextualisation l'action dans le temps et l'espace. En effet Capaev est protagoniste non seulement d'episodes tires de sa biographie, donc ayant des precedents historiques concrets, mais il franchit les limites spatio-temporels de son avant texte et traverse epoques et espaces differents, tout en gardant les traits lui assignes par son texte originel. Meme si le decor historique le plus frequent est celui de la guerre civile, animee par les entites collectives des belye (blancs) et des krasnye (rouges) ou nasi (les notres), Capaev se retrouve inexplicablement aussi a Tel-Aviv et a Jerusalem, sous les habits d'un juif, emigre sans difficulte grace a sa manque d'education; en Espagne, a Zurich, en Italie, en Afrique, en qualite de delegue sovietique au developpement culturel des peuples; au congres du parti, en visite a un camp de travail, au Vietnam, en participant de cette facon a tous les evenements concrets qui ont marque l'histoire sovietique.
Les anekdoty de ce cycle representent Capaev toujours a cote de Pet'ka et reproduisent non tant une situation typique du film, quant plutot l'atmosphere des longues conversations entre les deux heros. Capaev et Pet'ka animent un duo dialogique, generalement sur deux repliques, dont la premiere correspond a une observation de Pet'ka et la deuxieme a la reponse de Capaev en propos. Pet'ka s'adresse a Capaev en le tutoyant, malgre il soit plus jeune que son komandir (commandant) et il aie un degre inferieur, ce qui d'ailleurs indique le rapport d'amitie entre eux, et l'appelle par la forme parlee qui repete deux fois le prenom de l'interlocuteur Vasilij Ivanyx, a, Vasilij Ivanyx, ou Ivanyx est la variante populaire du patronymique Ivanovyx. La transposition du couple dans des situations differentes et etrangeres au avant texte n'agit pas activement sur la transformation du personnage, comme par exemple dans le cas de Lenine, ou le travestissement de son identite etait provoque par le contraste entre le contexte vulgaire et le personnage mythologise. Ce voyage constant dans le temps et dans l'espace plonge le personnage dans des situations insolites mais le lieu atypique, a la place de provoquer des changements dans l'identite du personnage, contribue plutot a le liberer des contraintes imposees a son identite par la propagande sovietique et a elargir ses possibilites existentielles. Le mecanisme sous-jacent a la construction du double parodique est en fait independant du decor variable. Le cycle fonctionne sur la base de l'hyperbolisation des traits du prototype qui ne se conforment pas a l'image standard du hero mythologique, comme l'ignorance, l'ingenuite et la vulgarite, causee par l'incomprehension continue de Capaev de la situation. Ces traits dans les anekdoty deviennent les signes distinctifs du hero et sont exageres jusqu'au grotesque, pour transformer Capaev dans le fol'klornyj durak, incroyablement naif et ignorant, mais a la fin des comptes un bon homme.
Les anekdoty reproduisent bien sur certains lieux communs de la biographie de Xapaev, comme la traversee du fleuve Oural, les combats contre les blancs, et surtout ses vaines tentatives d'etre admis a l'Academie Militaire:
На устном экзамене в комакадемии Чапаева спрашивают, какие документы выдаются делегатам. Василий Иваныч смущенно молчит. Котовский, прикрываясь ладонью, подсказывает:
- Манда-ты!
- А ты, Григорий Иваныч, - вскипает Чапаев - если тебе уши отрезать, и вовсе на хуй будешь похож!
Le motif de cet anekdot permet de jouer sur un cliche de la biographie de Capaev: sa complete absence d'instruction, qui dans le cycle est revelee par une incomprehension generale de la situation ou il se trouve et de ce qu'on lui dit, qui confere a son ignorance et a sa simplicite de raisonnement une epaisseur considerable. En effet le terme mandaty (mandats), evidemment inconnu a Capaev, est interprete par ce dernier comme l'offense obscene manda ty (tu es une vulve), juron d'origine polonaise. L'anekdot se construit sur un calembour par homophonie, dont le jeu semantique est typique du cycle.
Comme tout le cycle se construit sur le mecanisme de l'incomprehension, finalise a accroitre le degre d'ignorance du hero, le calembour resulte etre l'artifice le plus indique pour atteindre ce but et la structure dialogique, qui caracterise les anekdoty du cycle, parfaite pour sa realisation. Dans la premiere replique l'interlocuteur s'adresse a Capaev en utilisant dans son discours un mot potentiellement susceptible de plusieurs lectures, Capaev du meme mot utilise toujours un sens different de celui active par son interlocuteur, ce qui provoque une inevitable incomprehension entre les deux et l'echec de l'acte communicatif produit, a croire qu'ils utilisent deux langues differentes. L'image de Capaev qui sort de cet acte communicatif est celle d'un muzik sans instruction, grossier et concret, qui des expressions metaphoriques comprend seulement leur sens litteral et qui aux termes communs, mais lui inconnus, confere un sens obscene, car les seuls champs semantiques qu'il maitrise sont ceux du sexe, de l'alcoolisme et de l'obscene, prisme a travers lequel le hero percoit le monde aux alentours:
- Василий Иваныч, белого привезли!
- Сколько ящиков? 93
Le texte se construit sur un calembour par homonymie. Le contexte de la Guerre Civile est facilement deductible par l'identite des personnages, ce qui confere au terme belyj, utilise dans la premiere replique comme adjectif substantive, le sens metaphorique de "soldat de l'Armee tsariste, blanche". Capaev dans les anekdoty est un combattant avec une forte propension vers l'alcool et il interprete le meme terme comme un simple adjectif refere au vin blanc et utilise dans la forme du genitif partitif. L'absurde est accru par le fait que Capaev, malgre son role central pendant la Guerre Civile, ne connait pas les historismes lies a cet evenement, ce qui montre a quel point la situation ou il se trouve soit insignifiante pour lui. Son indifference au contexte historique est creee par des calembours selon homonymie, concernant des termes de l'argot militaire, que Capaev devrait maitriser a la perfection, mais qu'il ne connait pas et leur attribue des signifies nouveaux:
Чапаев спрашивает у Фурманова:
- Кто это там на крыше возится?
- Это Петька антенну натягивает.
- Хмм, Антенна, красивое имя... 94
Capaev interprete le mot technique antenna (antenne) comme un prenom feminin, interpretation liee au verbe natjagivat' duquel Fourmanov utilise le signifie premier "tendre" et Capaev celui parle de "forniquer". Face a un terme lui inconnu, car hors des limites de ses champs semantiques, il invente un signifie nouveau sur la base de son interpretation personnelle du contexte, reduit a un acte sexuel. Les cas d'homonymie "personnalisee" sont tres frequents:
- Василий Иваныч, Гольфстрим замерз!
- Сколько вам говорить: жидов в разведку не посылать! 95
Dans cet anekdot Capaev devient inconsciemment auteur d'une homonymie causee par son ignorance. Le terme Gol'fstrim est la denomination d'un courant oceanique, mais Capaev, qui en ignore l'existence, pense que le referent du mot soit un juif, car d'un cote le terme, par ses particularites phonetiques, pourrait ressembler a un nom de famille juif, de l'autre le verbe zamerznut', si refere a un individu, renvoie au stereotype de la faiblesse physique des juifs. Capaev a cause de son ignorance enrichit le terme d'un signifie nouveau et comprehensible seulement a lui-meme. Un autre exemple:
- Петька, где Aнка?
- С аппендицитом лежит.
- Аппендицита к стенке, Анку ко мне. 96
L'homonymie "personnalisee" caracterise cet anekdot aussi. Capaev ne connait pas la maladie en question et, face au verbe lezat' (etre couche) et au genre masculin du terme appendicit (appendicite), lui attribue le referent d'individu de sexe masculin, en interpretant l'originaire complement de cause comme un complement de compagnie. Ses manies sexuelles sont evidentes dans l'anekdot suivant aussi:
Петька врывается к Чапаеву:
- Василий Иваныч, только что наши захватили Али Бабу и сорок разбойников!
- Али и сорок распредели по отрядам, а бабу ко мне! 97
Le texte plonge les deux heros dans le contexte fabuleux des Milles et une nuit, mais Capaev ne change pas son comportement et, ne connaissant pas le personnage Ali Baba, considere le nom propre Baba comme le substantif commun d'acception vulgaire baba "femme".
Capaev dans les anekdoty est libere de la masque epique, lui attribuee par la propagande et de la prison de la Guerre Civile, d'ou il sort en se retrouvant dans un monde dont il ne comprend rien et ou ne l'interessent que l'alcool et le sexe. Le monde ou il se deplace est un marasme de mots inconnus, expression de situations pour lui insignifiantes et incomprehensibles, qu'il interprete a travers son prisme de naivete et grossierete. Il attribue aux mots des signifies qu'ils n'ont pas, en produisant des calembours dependant etroitement de son ignorance selon un mecanisme d'homonymie personnalisee: Capaev commente des situations reelles seulement a ses yeux et devient un personnage absurde, dont la particuliere vision du monde est limitee a des champs semantiques miserables, au-dela desquels n'existe rien.
2.5.2 STIRLIC
Qtirlic est le hero de la populaire serie cinematographique Semnadcat' mgnovenij vesny, douze episodes sur les aventures de l'espion sovietique Isaev, qui, camoufle sous les habits de l'allemand baron Von Qtirlic, recouvrait la charge de standarten fuhrer dans l'Allemagne nazie98 . Le succes de cette serie fut tel qu'ensuite elle continua a etre periodiquement transmise, ce qui fit de Qtirlic un symbole culturel de l'epoque. Stirlic, n'echappant pas au destin commun aux personnages les plus populaires de la culture sovietique de masse, passa rapidement du heroisme cinematographique a la quotidiennete du anekdot, un chemin pour lui naturel grace a la double identite de russe et d'allemand, qui caracterise son personnage dans le film.
Qtirlic apparait dans les anekdoty sous l'aspect de son prototype. Il reunit en soi deux identites culturelles contrastantes, desquelles, vu son role d'espion sovietique, il devrait montrer seulement l'allemande. Si dans le film il est un espion prudent et consciencieux, dans les anekdoty il se transforme en espion grotesque et maladroit, qui ne reussit pas a masquer sa vraie identite. Par consequence, les anekdoty de ce cycle se basent sur une duplicite semantique constante, qui depend de la double identite du hero et se manifeste d'un cote par l'eclatement de la personnalite secrete du polkovnik Isaev (colonel Isaev) et de l'autre par une double interpretation semantique de la situation representee.
Les anekdoty reproduisent les memes episodes du film et sont animes par les memes personnages, comme le general SS Muller, la radiotelegraphiste Ket, le professeur Plejsner, le pasteur Slag, personnages qui pourtant n'ont pas une veritable identite mais ressemblent plutot aux ombres de leur prototypes, qui peuplent l'univers de Stirlic. La masque de Stirlic ne se caracterise pas par des traits appartenant a sa physionomie, pour l'identification du personnage suffit son nom et les anekdoty de son cycle se distinguent surtout par la structure des textes, qui reflete celle du film. Typique du film est la presence d'une voix hors le cadre qui decrit le denouement de l'intrigue et surtout explicite les pensees de Stirlic et les troubles qui accablent son ame, a souligner la complexite psychologique du role du hero, partage entre deux identites. En refletant la structure du film, les anekdoty du cycle sont caracterises par la presence de la voix d'un regisseur exterieur, qui presente la situation par des phrases standards comme Stirlic sel po ulice, Stirlic sel po lesu, Stirlic echal na masine (Stirlic se promenait par la rue, Stirlic se promenait par la foret, Stirlic allait en voiture), liees a la frequence avec laquelle se repetent ces cadres dans le film, auxquels s'associe toujours l'image d'un Stirlic reflechissant sur comment resoudre tel ou tel probleme. L'explicitation de la pensee du hero est suivie par le cliche linguistique podumal Qtirlic (pensa Stirlic), qui met en evidence le silence qui domine les textes, caracterises par une transposition de la pensee en substitution des dialogues. Etant l'activite intellectuelle de Stirlic au centre du film, elle devient aussi leitmotiv du cycle, ou elle est cependant reduite a un mouvement intellectuel elementaire, presque primitif qui consiste en pure constatation de l'apparence:
Штирлиц шел по лесу. Навстречу ему две ярко накрашенные девушки.
- Шлюхи - подумал Штирлиц.
- Полковник Исаев - подумали шлюхи. 99
Dans cet anekdot l'action ne se passe qu'au niveau mental et si au moins les prostituees par leur reflexion vont au-dela de l'apparence allemande de Stirlic et reconnaissent en lui le colonel russe, Stirlic se limite vraiment a constater l'evidence. La masque linguistique du hero se montre caracterisee par des sentences lapidaires, concises, exactes, qui en un mot resument le pensee du hero, en refletant le "silence" du film, ou les dialogues sont rares, surtout de la part du taciturne Stirlic.
La facilite par laquelle les deux prostituees ont reconnu Isaev, malgre son deguisement en allemand, n'est pas casuelle. Si dans le film Stirlic ne laisse emerger que sa fausse identite de general allemand, dans les anekdoty au contraire il est avant tout le polkovnik Isaev, sa seule identite presente est celle russe, qui entre autres marque la masque du personnage, autrement neutre et grise au niveau de l'identite allemande:
Штирлиц зашел в знакомый кабак. Там он заказал порцию мяса. Ему принесли мясо. Штирлиц взял нож в левую руку, вилку в правую. Он знал, что вилку нужно держать в левой руке а нож в правой, но он хотел хоть минуту быть самим собой. 100
L'identite russe de Stirlic se manifeste dans son incapacite de respecter les regles elementaires du savoir-vivre, selon le stereotype affiche aux russes d'etre incapables de bien se comporter en societe. Le motif de la revelation et de la reacquisition de sa vraie identite implique le probleme de sa typification: Stirlic est caracterise soit par des objets typiques de la culture russe comme la budenovka101 , la krasnaja vysitaja kosovorotka102 , la garmon' v rukach (accordeon dans les mains), soit par des habitudes, comme feter le 23 fevrier, jour des Veterans de la deuxieme guerre mondiale; recevoir le salaire sans faire la queue, en URSS privilege des heros de la patrie, soit par ses actions il reflete les stereotypes typiques des russes, comme se boutonner en sortant des toilettes. Malgre son insouciance et sa legerete, ses antagonistes, les allemands, sont representes comme encore plus stupides que lui. Face a l'evidence ils n'arrivent pourtant pas a demasquer la vraie identite de Stirlic:
Мюллер застал Штирлица за чтением "Правды". "Политикой интересуется" - подумал Мюллер. 103
La duplicite de l'identite du heros est refletee par son raisonnement paradoxal:
Штирлиц на цыпочках зашел в темную комнату. Вдруг из темноты раздался голос Мюллера:
- Штирлиц! Не включайте свет!
- Опять шабат - подумал Штирлиц. 104
Le comique est cree par le contraste entre le shabbat, rituel juif et le contexte historique de l'Allemagne nazie pendant la deuxieme guerre mondiale: selon Stirlic protagonistes du shabbat seraient les memes officiers nazis. Son interpretation absurde de la realite se lie a ses deux identites differentes.
Cette duplicite de raisonnement est exprimee le mieux par les calembours, l'artifice typique de ce cycle. Ils refletent la double realite quotidienne dans laquelle vit le hero qui se partage entre deux identites, deux visions du monde, deux langues. Le calembour, en plus, n'est pas un simple jeu de mots, mais vise a exprimer l'attitude ironique du parlant a l'egard de l'objet de son discours: Stirlic est un durak parce qu'il n'est pas capable de bien interpreter la realite qui l'entoure. Par exemple:
Штирлиц поднял глаза из асфальта. Это были глаза профессора Плейшнера. 105
Le calembour consiste dans la litterarisation de l'expression idiomatique et metaphorique podnjat' glaza (soulever les yeux). Tres frequents sont les calembours par homonymie, jouant sur l'usage des prepositions et des cas:
Штирлиц шел по улице. Он видел, как двое эсэсовец ставили танк на попа. - Бедный пастор - подумал Штирлиц. 106
Dans cet anekdot l'usage ambigu des cas cree une homophonie: na popa est le complement de lieu "sur le pretre" si on considere le terme popa comme le cas genitif du substantif masculin pop "pretre orthodoxe", mais il est aussi une expression prostorec'e, utilisee comme complement de maniere avec le signifie "verticalement". Un autre exemple:
Штирлиц шел по ночному Берлину. Вдруг он услышал шаги. Выхватив пистолет и не оборачиваясь, он выстрелил вслепую. Слепая скончалась. 107
Le sens du texte change radicalement apres la decouverte de l'homophonie entre v slepuju (sur l'aveugle) et vslepuju (a l'aveuglette). Le premier est un complement indirect qui depend du verbe streljat' (tirer avec une arme) et repond a la question "a qui", par consequence slepaja est un adjectif substantive precede par la preposition de lieux v, requise par le verbe. Au contraire, vslepuju repond a la question "comment" et est un adverbe. Encore un cas d'homophonie:
Штирлиц вышел из воды и лег на гальку. Светка обиделась и ушла. 108
Ici l'homophonie est creee par le prenom feminin dans sa forme diminutive Galka et le substantif gal'ka (galet), et elle influence aussi l'usage du deuxieme prenom feminin dans sa forme diminutive Svetka. Les calembours sont la projection de la double identite du heros: ils renvoient a deux referents differents et sans aucun lien entre eux, si non linguistique, comme les deux identite allemande et russe de Stirlic, parmi lesquelles le seul point de contact est la figure du hero, une masque statique qui selon la situation se remplit d'une identite differente en provoquant une vision du monde double.
Le cycle fait la parodie du Stirlic cinematographique et transforme le personnage en durak, le sujet dramatique du film devient farce, le tragique et le noble - comique et vulgaire, le sense - absurde.
CHAPITRE III
LA LANGUE DE LA MYTHOLOGIE DANS L'ANEKDOT
Le systeme ideologique sovietique et son image du monde etaient vehicules par une langue particuliere, creee expres pour exprimer l'ideologie totalitaire, erigee en mythologie, et donner l'illusion de l'existence d'une societe du bonheur et de l'abondance, dont la realisation etait liee a l'instauration du communisme. Il s'agissait cependant d'une mystification au detriment du peuple sovietique, que les anekdoty veulent demasquer en choisissant justement comme but de leur action derisoire la langue officielle. Ils creent des intertextes caracterises par l'"intrusion" de slogans et sovietismes, deplaces de leur contexte originel, le rituel, dans celui du monde carnavalesque de l'anekdot. La langue officielle est ainsi violee dans son usage et forcee a des melanges avec styles differents, surtout mat et prostorec'e, soumise a calembours et jeux semantiques. Cette action de desacralisation la transforme en anti-langue: si la langue totalitaire etait la conditio sine qua non a l'existence du rituel et du monde utopique lui lie, la violation de cette langue impliquait necessairement une profanation du rituel, l'aneantissement de la construction utopique sur laquelle se tenait le systeme sovietique et la refutation de la verite absolue du Parti.
3.1 KANCELJARIT ENTRE MYTHE ET REALITE
Le systeme totalitaire sovietique avait une application globale et impliquait de la part de l'Etat un controle capillaire sur chaque sphere de la vie. La langue aussi etait lui soumise: en tant que vehicule de la pensee humaine et instrument pour la description du monde, elle fut un de premiers elements a etre adapte aux exigences du nouveau regime.
A partir de la Revolution d'Octobre, en effet, commenca un proces d'influence ideologique a l'egard de la langue russe qui permet de parler du langage officiel comme d'un systeme autonome par rapport a la normale langue russe. La coexistence de deux langages, russe et sovietique, destines a fonctions et usages divers, fait parler de la situation linguistique russe sovietique comme d'une diglossie. La langue sovietique etait utilisee au niveau de la communication officielle, extremement codifiee, alors que le russe etait la langue de la quotidiennete et se presentait comme un kaleidoscope de styles et de registres, librement utilises et melanges. Le decalage entre le comportement linguistique officiel et prive etait enorme. Plusieurs definitions ont ete proposees pour la langue sovietique [Zemskaja, 1996: 24], de totalitarnyj jazyk (langue totalitaire), a derevjannyj jazyk, calque du francais "langue de bois", jazyk lzi (langue de la mensonge), novojaz, abreviation de novojazyk (Neolangue), calque du anglais New Speak, tire du roman de G. Orwell 1984 et enfin le kanceljarit (burocratais) de K. Xukovskij:
Жульнический, бесчестный жарнгон. Потому что вся его лексика, весь его синтаксический строй представляли собою, так сказать, дымовую завесу, отлично приспособленную для сокрытия истины. Как и все, что связано с бюрократическим образом жизни, он был призван служить беззаконию. 109 [Xukovskij, 1963: 134].
Le proces de creation du kanceljarit commenca le lendemain de la Revolution d'Octobre et atteignit le sommet pendant l'epoque stalinienne, quand le byt et l'histoire sovietiques furent completement recouverts de mythes, dont le but etait l'expression de l'utopie realisee du communisme. Si apres l'instauration du pouvoir bolchevique les chefs politiques, face a la destruction du pays et aux miseres de la vie quotidienne, cherchaient a gagner le soutien du peuple par les promesses d'un avenir radieux, a partir de 1935, cet avenir radieux officiellement declare comme realise110 , il s'agissait de combler l'abime existant entre la verite d'Etat et la realite, qui ne correspondait pas a l'image d'elle fournie par la propagande. La langue devint alors un des instruments les plus puissants a disposition du pouvoir pour la construction du mythe du bonheur realise. A cote de la langue russe progressivement commenca a apparaitre le kanceljarit, un langage cree artificiellement pour exprimer la nouvelle image du monde de la propagande sovietique et rendre impossibles toutes formes alternatives et donc heretiques de pensee, vu qu'il ne contemplait que les signifies voulus par le Parti, en excluant automatiquement les autres. En effet a partir de 1917 la langue russe fut soumise a une sorte de "purge" qui provoqua l'appauvrissement de son vocabulaire. Il fut prive de tous les termes lies aux comportements et aux institutions du passe tsariste et reforme par l'introduction d'une nouvelle classe de mots, les sovietismes, necessaires a l'expression des changements suivis aux evenements revolutionnaires, de la nouvelle ideologie dominante et a poursuivre les objectifs politiques de stabilisation et legitimation du systeme sovietique [Zaslavskij, Fabris, 1982: 387-401]. La nouvelle langue empechait de designer spheres entieres de la vie, en voilait d'autres par la mensonge, influencait le jugement de l'individu vers la realite, en permettant une expression ideologisee et instable, puisque dependante de la ligne politique adoptee a un moment historique donne et des idees du secretaire general au pouvoir.
Le kanceljarit etait la langue du discours ideologique officiel: une manipulation communicative et une tentative d'influencer le cours des pensees humaines, qui contraignaient a l'expression d'une vision du monde tout a fait partielle et dictee par le nouveau systeme sociopolitique, presentee comme la seule Verite possible. Selon U. Eco cette deformation du code communicatif consistait en un "(:) scelta di selezioni circonstanziali che attribuiscono una data proprieta a un semema, contemporaneamente ignorando o celando altre proprieta contraddittorie, che sono egualmente predicabili di quel semema a causa della natura non lineare e contraddittoria dello spazio semantico." 111 [Eco, 1994: 362], de facon que le discours ideologique, caracterise par linearite et dissimulation des contradictions, rendait l'espace semantique qu'il designait univoque. L'univocite etait une caracteristique deja propre a cet espace, correspondant a une realite creee sur le papier et existant seulement pendant les moments officiels et rituels du byt. Le rituel est un espace culturel qu'on pourrait definir, par les mots de Marc Auge, un "non-lieu": "... le contraire du lieu, un espace ou celui qui le traverse ne peut rien lire ni de son identite (de son rapport a lui-meme), ni de ses rapports aux autres ou, plus generalement, des rapports entre les uns et les autres, ni, a fortiori, de leur histoire commune." [Auge, 1997: 109]. Dans cet espace l'individu se retrouvait plonge dans l'atemporalite d'une realite utopique, ou les seules categories temporelles admissibles etaient le passe mythologise et le futur glorieux. La realite, etant trop sordide et desolante pour etre exprimee et donc explicitee dans son existence, etait substituee par celle fictive du futur envisage, fixee par les formules mensongeres du discours ideologique, concues comme les signes de la vie quotidienne en URSS. La verite exprimee par le kanceljarit etait donc non pas celle du present, completement ignore, mais la realite fictive du futur merveilleux vecu comme present, qui faisait du discours ideologique avant tout un discours fictionnel aux referents abstraits d'un des mondes possibles: le monde russe sovietique et communiste. En effet, selon M. Krongauz [Krongauz, 1994: 233-244], le kanceljarit avait ete cree expres pour accomplir aux taches que la langue normale n'etait pas capable de satisfaire: maintenir en vie le rituel necessaire a creer l'illusion d'une vie sociale reelle, d'une societe de l'egalite et du bien-etre, pendant lequel le langage publique n'avait pas la fonction "... ни сообщать новой информации, ни способствовать выявлению истины, а являлись вполне образцовыми ритуалами" 112 .
A travers la manipulation des instruments communicatifs, le kanceljarit cherchait a cacher la verite et a en empecher la definition reelle: c'etait la langue de l'utopie, impossible a utiliser au dela du niveau de la propagande a cause de son inconsistance. Ses contenus n'avaient pas des correspondants dans le monde reel et present, mais dans le futur, duquel on etait en train de s'approcher et qui ne devenait jamais realite. Pour cette raison le referent de ce langage etait une sorte d'icone: on etait contraint a y croire a priori sans chercher a l'interpreter.
3.2 LE SLOGAN
Le slogan exprime la quintessence du systeme sovietique. Ju. I. Levin le definit "(...) краткий письменный текст (обычно одно простое предложение), выражающий "руководящую идею, задачу, требование" (БСЭ, 3-е изд.), оформленный в достаточном для массого восприятия формате и расположенный в том или ином общественном месте (улица, площадь или шоссе, предприятие, клуб и т.д.). (...)"113 (Levin, 1998 : 542).
Le slogan politique nait le lendemain de la Revolution d'Octobre comme instrument de l'education populaire, affiche aux agitpoezda "trains de propagande", qui traversaient le pays pour rejoindre les villages les plus perdus, y divulguer l'ideologie sovietique et instaurer un rapport de confiance entre peuple et pouvoir. Au debut le slogan etait une sorte de commentaire pour affiches dans le style du lubok, sur des thematiques sovietiques, dont protagonistes etaient des personnages issus du peuple, comme le soldat, le paysan, l'ouvrier. C'est seulement a l'occasion du premier anniversaire de la Revolution, le 7 novembre 1918, qui commenca l'usage massif du slogan. A cette occasion-la Lenine inaugura la monumental'naja propaganda (propagande monumentale), qui consistait en l'affichage de slogans en position strategique sur les murs et les toits des immeubles de tout le territoire sovietique. Il s'agissait d'ecritures breves et incisives qui dans un premier temps divulguaient les principes du marxisme, sur la base desquels etait reconstruit le pays. Ensuite ils decrivaient l'utopie sovietique et incitaient a sa realisation. Les slogans, en effet, etaient l'aliment vital du pouvoir sovietique qui, face a une realite souvent sordide et, sous certains aspects, tragique, necessitait de "formules magiques", susceptibles de cacher tous les innombrables problemes du byt en creant l'illusion d'une societe du bonheur et de l'abondance. Ils avaient le pouvoir de modifier l'image du monde existant et de la remplacer par celle de la realite utopique fabriquee par la propagande.
Le slogan, en tant que texte et objet ornemental, visait a transmettre un message generalisant et collectivisant a travers des images metaphoriques comprehensibles par tous. La metaphore est, en effet, un mecanisme semantico-conceptuel fondamental dans la production des signifies politiques. Son fonctionnement est explicite par A. Smelev: "Political metaphors are not merely figures of speech destined for flowery prose and figurative language, but cognitive devices for forming and communicating conceptualizations of reality. Metaphor works by appropriating one taken-for granted field of knowledge and applying it to another (that is, to politics)" 114 [Smelev, 2001: 112]. Ces images, constituees d'elements tires du monde concret et eriges en symboles d'idees et situations superieures, faisaient appel davantage au cote irrationnel et emotif de l'individu plus qu'elles ne suscitaient sa capacite de reflexion. En effet le slogan, dans la transmission de ses contenus, garde le lien avec son origine en tant que commentaire de lubok. Sa semantique verbale projette dans le texte la plakatnost', le caractere plastique de l'affiche, qui fait du slogan une sorte d'illustration verbale de la realite. Cependant il s'agit non pas de la realite historique a un moment donne, mais de la realite souhaitable de l'utopie communiste, constamment envisagee mais jamais realisee, sauf comme fiction pendant le deroulement du rituel officiel. Le caractere d'"icone" propre au slogan pose alors un probleme dans le lien referentiel entre le slogan comme signe et sa realite comme objet, etant le slogan signe d'un des mondes possibles, mais pas existant. L'evidence du decalage entre la realite et l'utopie, priva rapidement le slogan, apres sa diffusion massive, de son pouvoir de mobilisation et d'evocation. Il devint rien de plus qu'une etiquette, pure decoration du rituel, comme l'ecrivait G. Vinokur deja en 1923: "...для уха, слышавшего словесные канонады Октября, фразеология эта не более, чем набор обессмысленных звуков..." 115 [cite en Levin, 1998: 551].
3.3 LE SLOGAN COMME DISCOURS IDEOLOGIQUE
Le slogan est une des manifestations possibles du discours ideologique officiel. En tant que tel, il se presente comme le produit de la strategie de l'hypercodification rhetorique et stylistique que le pouvoir, detenteur du monopole des moyens de communications, emploie afin de rendre le message redondant et d'en assurer une interpretation univoque et pilotee. Selon U. Eco, dans le proces d'hypercodification " (:) Un codice base stabilisce che una certa combinazione grammaticale e comprensibile e accettabile e una certa regola retorica successiva (:) stabilisce che quella combinazione sintagmatica deve essere usata in circostanze specifiche con una data connotazione stilistica. " 116 [Eco, 1994: 188]. Chaque lesseme du slogan voit son signifie elementaire passer au second plan face au signifie ideologise, lui attribue par la propagande et dont les marques connotatives deviennent dominantes. Ces lessemes se combinent entre eux dans un contexte semantique selon un numero limite de possibilites et sont employes toujours dans des circonstances d'enonciation et de reception fixees. Cela fait du slogan une expression faite, enregistree dans la tradition rhetorique de la societe. La rigidite dans la production des slogans est telle, qu'une violation minimale dans l'achevement de ce proces si standardise suffit a susciter une nouvelle interpretation du message transmis.
Les anekdoty sur les slogans politiques visent a refuter la verite absolue du message ideologique, duquel ils demasquent la faussete: malgre le discours officiel se pretende referentiel, la verite transmise est contredite et dementie par la realite, dont le slogan se revele signe absurde. Ce but est atteint en opposant a la strategie officielle de la codification du message par la manipulation des instruments linguistiques la tactique de la decodification [Eco, 1994: 199]. Cette tactique se realise en agissant sur les circonstances de reception du message afin d'en changer le contenu malgre la conservation de la forme. En effet, face a la multitude des circonstances d'enonciation, les cadres du monde reel indispensables a tout acte communicatif, le message apparait une sorte de forme vide, a laquelle on peut attribuer un sens toujours different et dependant des points de vue et des systemes de conventions existants. La variation de ces circonstances influence l'interpretation du message transmis: les modifications introduites lui conferent un sens nouveau et permettent donc de remplacer l'univocite de la reception des messages officiels par une pluralite, consistant en une interpretation alternative du meme message.
L'application de la tactique de la decodification conditionne le fonctionnement de ce type d'anekdot, dont le texte est la transposition deformee de l'acte communicatif officiel par slogans. Le texte du anekdot reproduit une circonstance d'enonciation possible de se passer dans la realite, en creant ainsi le contexte, dans lequel s'insere le slogan sous forme de citation. Le nouveau contexte est cependant atypique par rapport au lieu d'affichage ou au cadre d'enonciation traditionnels (le rituel), car il est parseme d'elements referentiels, renvoyant au contexte du non-dit. Cette variation, apparemment insignifiante, entraine au contraire des consequences semantiques remarquables: elle prive le contenu du slogan des traits d'atemporalite et d'absolu lui propres et provoque son "historisation", son enracinement dans le reel. Le slogan acquiert un contenu nouveau et devient signe de la meme realite qu'il cherchait a cacher par l'imposition de ses icones. Ce mecanisme a donc a la fois une valeur significative et referentielle. Son fonctionnement sera analyse dans les trois possibles typologies textuelles du dialogue, de l'aphorisme et de la devinette.
3.3.1 SLOGAN ET DIALOGUE
Dans les anekdoty appartenant a cette typologie textuelle le slogan figure comme citation dans la replique d'un des personnages enonciateurs, qui se charge indirectement de sa reinterpretation a travers son usage incorrect et sur la base de sa vision du monde. Responsable de l'usage anormal d'un cliche linguistique hypercodifie ne peut etre qu'un personnage construit sur le modele du durak ou du chitrec, les heros de l'anekdoticeskaja skazka qui, par leur comportement paradoxal, ne se conforment pas au type humain socialement accepte et ont une predisposition innee a la violation des normes. Le hero du anekdot ignore l'hypercodification du slogan a l'interieur de la tradition rhetorique officielle et sa reception du message se base sur les nouveaux cadres d'enonciation, concernant les situations concretes de sa vie quotidienne. Il s'agit de circonstances non codifiees, face auxquelles le hero interprete le message par abduction: en utilisant le slogan pour signifier une situation non codifiee, il le transforme en signe d'elle.
Le type du "sot" est realise par le prostak (nigaud) qui vie au marge du systeme sovietique, dans des regions campagnardes, eloignees du "centre", Moscou, ou l'ideologie sovietique penetre a peine et coexiste avec les traditions, etant assimilee par les habitants a travers le prisme des modeles et des representations archetypes traditionnelles. Le prostak est un naif, sa vie se deroule entierement dans le village et ses seuls contacts avec l'ideologie sovietique passent a travers le propagandiste son antagoniste:
На колхозном собрании, посвященном соревнованию с Америкой, берет слово дед:
- Догнать-то можно, отчего-ж не догнать, а вот перегонять не к чему: видать будут заплаты на жопе! 117
Dans ce texte le role du prostak de campagne est realise par le ded (grand-pere), un homme peu instruit, comme montre par son langage dialectal, dont sont indices la simplicite de la phrase, l'usage syntactique de la particule intensive -to apres les verbes et l'usage spontane de mots obscenes dans le milieu officiel de la reunion du kolkhoz. A cause de ce melange de styles, la replique du vieillard se caracterise par une profanation extreme du slogan dognat' i peregnat' Ameriku (rejoindre et depasser l'Amerique). Le slogan est decompose en ses lessemes constituants, utilises pour produire un nouveau message, dont la lecture litterale transforme l'icone du contenu originel en image miserable, qui montre comment la gloire sovietique ne soit que fausse apparence. En effet, le ded refuse la metaphoricite, le caractere abstrait du slogan lui incomprehensibles et lui attribue un signifie concret, en l'appliquant a la situation reelle de la pauvrete des kolkhoziens, dont sont indice les pantalons rapieces.
Le role du prostak est joue aussi par le cukca:
Чукча приезжает домой со съезда.
- Ну как там? - спрашивают.
- Говорили "все для человека, все во имя человека..." и я видел этого человека! 118
Le cukca est protagoniste d'un cycle d'anekdoty apparu a la fin des annees 60 et encore en circulation aujourd'hui. Il est le "sot" par excellence des anekdoty, l'homme simple, le representant d'une minorite ethnique qui vit au milieu d'une nature sauvage dans une region, la Cukotka, isolee du reste du pays, ou il mene une existence presque primitive, en parfaite communion avec la nature et les animaux. Le cukca soumet le slogan vse dlja celoveka, vse vo imja celoveka (tout pour l'homme, tout au nom de l'homme) a litterarisation sur la base de la circonstance d'enonciation, le congres du parti: l'individu, auquel sont finalises les efforts du Parti, n'est pas l'homme comme entite generale et abstraite mais L.I. Breznev, car il est le seul a conduire une existence digne et donc a pouvoir confirmer la veridicite du slogan.
Le chitrec a la meme fonction de reinterpretation du durak, mais grace a son astuce et a sa sagesse. En effet il reconnait le slogan comme message soumis a hypercodification, connait egalement le code necessaire a sa correcte interpretation, mais, face a la multitude de codes et de la variete de contextes et circonstances, il choisit un parcours interpretatif alternatif et imprevisible:
Телеграмма: "Москва, Кремль, Ленину. Товарищ Ленин, помогите бедному еврею! Рабинович.". На следующий день Рабиновича вызывают куда надо:
- Вы в своем уме? Вы что, не знаете, что Ленин давно умер?
- Ну да, у вас всегда так: если вам нужно, то он вечно живой, а если нужно бедному еврею, так он давно умер119
Rabinovic dans les anekdoty est le type du juif ruse qui reussit toujours a se moquer du systeme, represente par les fonctionnaires ses antagonistes, et a montrer l'absurdite du slogan comme signe. La litterarisation du celebre slogan Lenin vecno zivoj (Lenine vit par l'eternite), cree en occasion du centenaire de la naissance de Lenine, denonce la manipulation linguistique operee par la propagande: le slogan est signe de la realite et a une fonction denotative seulement a l'interieur du rituel, pour satisfaire les necessites du pouvoir, alors qu'au niveau de la vie reelle il se revele faux et sans valeur.
Le fonctionnement des anekdoty de cette typologie se base sur une deformation semantique du slogan, effectuee par le protagoniste du texte et destinataire du message ideologique. Les procedes utilises sont la litterarisation et la decomposition du texte, qui s'accompagnent toujours a l'extrapolation du slogan de son cadre abstrait et originel d'enonciation. Le personnage interprete le slogan sur la base des signifies elementaires de ses differents lessemes, qu'il utilise pour produire un nouveau message a l'interieur d'une circonstance differente. Cette circonstance correspond a une situation tiree de la realite quotidienne, et donc parsemee d'elements referentiels, qui influence l'attribution au slogan d'un contenu nouveau renvoyant a la realite historique. Le discours ideologique de fictionnel se fait referentiel et les referents deviennent paradoxalement les aspects de la realite qu'il etait appele a cacher.
Bien que la litterarisation soit le procede typique de l'anekdot en forme dialogique, on retrouve aussi, meme si en pourcentage nettement mineur, l'artifice de la modification:
Карл Маркс захотел выступить в СССР по радио.
- Хучь вы и комусисиський основоположник, - сказал ему Брежнев - я не могу единолично решить такой важный вопрос. У нас коллективное руководство!
- Я скажу только одну фразу! Сказать одну фразу Брежнев разрешил под свою ответственность. Маркс подошел к микрофону и покричал:
- Пролетарии всех стран, простите меня! 120
Le celebre slogan marxiste, objet de parodie, est proletarii vsech stran, soedinjaetes' ! (proletaires de tous les pays, unissez-vous !). Sa structure s'articule en deux parties, dont la premiere contient l'appellation, et la deuxieme l'imperatif. Dans l'anekdot Marx s'adresse au meme destinataire, le proletariat comme interlocuteur traditionnel du philosophe. L'espace de l'imperatif, au contraire, est occupe par un verbe different de l'originel, qui se lie au contexte historique reel de la Russie de Breznev, en relation auquel Karl Marx se sent obliges a des excuses pour avoir invite le proletariat a la lutte, voir pour avoir ete la source de tous ses malheurs. Le deuxieme slogan ainsi obtenu ne veut pas se substituer a son prototype, mais le suivre sur la ligne de la temporalite historique: les variations apportees a sa semantique sont consequence directe de l'effet produit par le message du premier slogan. La modification du slogan concerne la selection contextuelle des unites semantiques avec lesquelles un terme peut apparaitre: le slogan comme texte hypercodifie ne permet aucune variation dans les possibilites de combinaison, car le choix des mots qui le composent est finalise a l'expression d'un sens bien precis et toute alteration minimale provoque l'acquisition d'un nouveau contenu avec des connotations autres. Les changements operes dans le texte ne sont pas casuels mais dependent toujours de la nouvelle circonstance, ou le slogan est applique et dont il devient signe.
3.3.2 SLOGAN ET TEXTE NARRATIF
Dans le paragraphe precedent on a montre qu'il suffit remplacer le cadre d'enonciation hypercodifie par un nouveau afin que le contenu du slogan change radicalement. Le rapport entre le texte et la situation d'enonciation est, du reste, typique du slogan. Les villes sovietiques etaient tapissees d'affiches avec des slogans, qui, selon le lieu d'affichage, assumaient un signifie plus specifique, lie par exemple a une categorie sociale determinee. C'est dans les anekdoty "aphorismes" que le rapport d'interdependance lieu-texte est particulierement evident.
Les anekdoty de cette typologie offrent une representation complete du slogan comme plakat (affiche), a la foi texte, et vehicule d'un message, et objet physique avec une fonction ornementale dans un lieu precis, dont les habitues sont les destinataires du message. Si le lien entre texte, destinataire et lieu est fondamental pour les slogans a theme economique, le contenu desquels s'adresse aux travailleurs du lieu d'affichage, les slogans politiques, au contraire, transmettent leur message au peuple en general. Pourtant, dans les anekdoty le slogan politique est destine a un usage hors de ses normes traditionnelles. Il fonctionne comme le slogan economique: le texte est precede par une indication referentielle, la specification du lieu d'affichage, qui ne concerne pas un territoire commun et neutre, comme une place ou la facade d'un immeuble, mais un lieu specifique et identifie, comme le siege d'une organisation politique. L'etablissement du lien entre le texte et son lieu d'affichage provoque la specification indirecte de ses destinataires et une historisation de l'icone du slogan sous l'influence des champs semantiques du lieu et du destinataire:
Плакат на артиллерийской академии: наша цель - коммунизм! 121
La structure de ce slogan "mot d'ordre" se caracterise par l'omission de l'appellation directe a une categorie sociale precise: le destinataire de l'exhortation est indique par l'adjectif possessif "sovietise" nasa (notre), ayant la fonction de deictique122 et interprete comme sovetskaja (sovietique), donc refere au peuple sovietique. La genericite de son sens s'efface completement devant le cadre d'enonciation du slogan, qui provoque une specification radicale de son referent. L'adjectif passe a designer une sous categorie du peuple, celle des tireurs, les travailleurs du lieu ou le slogan est place. Cette specification suscite la predominance du deuxieme signifie du mot polysemique cel' "cible", lie au contexte militaire, sur le premier et propre au slogan "but". Le calembour entraine un changement dans le message transmis, concernant surtout l'attribution au terme "communisme" d'une connotation negative, car le champ semantique du lesseme "cible" implique la notion de "tirer avec une arme", associee aux idees de la mort, de la violence et de l'agressivite.
Dans certains anekdoty l'indication du lieu s'unit a la modification du texte:
Плакат на здании обкома: кто у нас не работает - тот не есть. 123
Le slogan parodie est l'article 12 de la Constitution de la RSFSR de 1936 kto ne rabotaet, tot ne est (qui ne travaille pas, ne mange pas), auquel est ajoute le complement de lieu u nas (chez nous). La modification du slogan n'est jamais casuelle mais fonctionnelle a la circonstance d'enonciation. Le deictique spatial u nas acquiert son sens et sa reference sous l'influence du cadre enonciatif, l'immeuble de la section regionale du Parti (obkom). Sa presence provoque une specification du referent du pronom personnel kto (qui), qui passe a designer tous les citoyens non membres du Parti, en revelant ainsi un paradoxe de la societe sovietique. Le non-dit de cet anekdot joue un role fondamental dans les changements operes sur le slogan: en URSS la penurie des genres alimentaires, meme de premiere necessite, etait constante et le probleme de leur reperage caracterisait la vie quotidienne de tous les citoyens, sauf celle des membres du parti qui avaient a leur dispositions des chaines de magasins bien approvisionnes et reserves a eux.
Parfois la modification du texte consiste en la substitution d'une unite semantique par une autre, les deux en relation d'hyponymie ou d'hyperonymie124 :
Клонна медработников на первомайской демонстрации носит плакат: "Советский паралич - самый прогрессивный в мире!" 125
Dans le slogan de constatation sovetskij celovek - samyj progressivnyj v mire (le citoyen sovietique est le plus progressif au monde) le sujet sovetskij celovek sur la base du "lieu d'affichage", les mains des medecins, est remplace par une specification qui limite la valeur du slogan a la categorie des paralyses, hyponyme de celle des hommes en general. Cela entraine un calembour: l'attribut samyj progressivnyj refere a la locution sovetskij celovek a le signifie de "a l'avant-garde" avec une connotation positive, alors que si applique au terme paralic, il passe a indiquer l'empirement constant des conditions de sante du malade selon la locution progressivnyj paraliz (paralyse progressive). Automatiquement la connotation initiale du slogan de positive devient negative, son signifie fait allusion a l'etat pitoyable du systeme sanitaire sovietique. Le contexte semantique officiel du cliche est viole par l'intrusion d'unites semantiques exterieures dans l'anekdot suivant aussi:
Конкурс на лучшую книгу о слонах. Немцы представили капитальный труд в трех томах "Введение в науку о слонах". Американцы - покетбук "Что должен знать средний американец о слонах". Еврей - "Слоны и еврейский вопрос". Болгары - "Болгарский слон - младший брат советского слона". Русские - "Россия родина слонов" и "Советский слон - самый сознательный в мире". 126
Si dans l'anekdot precedemment cite le changement de l'objet du slogan s'effectuait en direction d'une specification, d'une delimitation a une sous categorie de la categorie generale, dans ce cas, au contraire, se verifie un elargissement du domaine d'application du slogan, qui se refere carrement a un champ semantique autre. Le premier des slogans presents dans le texte bolgarskij narod - mladsij brat sovetskogo naroda (le peuple bulgare est le petit frere du peuple sovietique) est deforme selon une equivalence paradoxale entre narod (peuple) et slon (elephant), dont les traits semantiques partages ne se reduisent qu'a celui generique de "etre vivant". Le meme se passe avec le slogan sovetskij celovek - samyj soznatel'nyj v mire (le citoyen sovietique est le plus consciencieux au monde), ou celovek est substitue par slon, et avec le slogan Rossija - rodina prioritetov (la Russie est le pays des priorites), ou le changement concerne la definition du sujet rodina prioritetov, substituee par rodina slonov (pays des elephants). Les slogans ainsi modifies deviennent absurdes sous deux points de vue: non seulement le contexte semantique cree uni des lessemes inconciliables selon le code linguistique, mais en plus le contenu n'a pas des referents dans la realite. La substitution des unites semantiques originelles par des autres, a detriment de toute logique, s'explique sur la base de la faiblesse du slogan meme comme signe: au contenu du texte ne correspondent pas d'objets reels, donc modifier le texte de facon absurde signifie remettre en question la meme validite du slogan reel.
Dans l'anekdot aphorisme le slogan est donc soumis a un double procede de localisation et de modification du texte: en fonction du lieu d'affichage le texte est modifie afin de provoquer l'emersion du non-dit. La modification concerne la violation du contexte semantique originel par l'intrusion d'unites exterieures referentielles. Le slogan, en tant que texte hypercodifie, ne tolere aucune variation dans son contexte semantique, car le choix des mots est finalise a l'expression d'un sens precis et toute alteration du contexte provoque l'acquisition d'un contenu nouveau. Les changements operes visent a la creation d'une reference situationnelle, la reference a la nouvelle circonstance d'enonciation appartenante a la realite, dont le slogan devient signe.
3.3.3 SLOGAN ET DEVINETTE
La particularite de l'anekdot "devinette" concerne son but non pas de deviner un objet, selon le fonctionnement traditionnel de la devinette, mais sa representation dans l'imaginaire de masse, ce qui permet une reinterpretation de l'objet alternative a celle officielle. La reinterpretation du slogan dans cette typologie est suscitee dans la plupart des cas par sa litterarisation. La question concerne un theme de la realite, qui correspond a l'image dans la realite produite par la lecture litterale du slogan, present d'ailleurs dans la reponse. Le slogan devient alors la cle a la devinette et illustre, exactement comme le texte d'une affiche, le theme-image affronte dans la question, ce qui fait de la devinette avec sa structure image-texte la transposition du plakat. Par exemple:
- Какова причина торфяных пожаров в подмосковье?
- Брежнев сказал: "пусть горит землю под ногами алкоголиков"! 127
Le slogan de Breznev est soumis a un procede de litterarisation sur la base du contexte implicite des conditions miserables de vie dans les banlieues ouvrieres de Moscou, ou se concentrait un pourcentage haut d'alcoolises. A l'image metaphorique du slogan, signe de la lutte contre l'alcoolisme, se substitue une image concrete, correspondante aux consequences eues par l'affirmation.
Certains slogans presentent une structure rigide qui non seulement bien se prete a l'introduction de modifications des unites semantiques qui la remplissent, mais devient objet de parodie meme avant son contenu:
- Как изменил Хрущёв ленинскую формулу коммунизма?
- Коммунизм - это советская власть плюс кукуризация всей страны. 128
Le celebre slogan de Lenine kommunizm - eto sovetskaja vlast' pljus elektrifikacija vsej strany (le communisme est le pouvoir sovietique plus l'electrification de tout le pays) accompagnait la campagne pour l'electrification, commencee en 1920. Il appartient au genre de la constatation et presente une structure pareille a une formule mathematique, ou l'addition de deux termes differents, lies au contexte sovietique a une epoque precise, donne comme resultat le communisme. De deux termes le premier est invariable. Etant l'Union Sovietique le premier pays communiste au monde, la locution sovetskaja vlast' resulte une composante fixe de la formule, la condition indispensable a la realisation du communisme, alors que le deuxieme terme varie selon les circonstances historiques et les actes du gensek au pouvoir. Lenine s'associe positivement a l'electrification du pays, alors que Chruscev est negativement lie aux cultures du mais, cause de famine. Le mot d'origine latine elektrifikacija est alors substitue par le neologisme kukurizacija, forme de la base kukuruza "mais" par l'ajoute du suffixe nominal latin -acija indiquant un proces ou acte de realisation. Dans la variante chinoise le deuxieme terme de l'addiction est remplace par sterilizacija "sterilisation", signe de la Chine et refere a la necessite de controler les naissances:
- Что такое коммунизм по-китайски?
- Советская власть плюс стерилизация всей страны. 129
L'anekdot met en cause la validite du slogan comme expression de la quintessence du communisme, dont la valeur est considerablement amoindrie et son caractere utopique denonce. La contradiction entre la proclamee realisation du communisme et la realite, non correspondante aux descriptions de l'utopie, pousse a reduire la nature du communisme a la simple instauration du pouvoir sovietique, unie a un phenomene variable, signe de l'epoque ou du pays d'instauration.
La formule peut etre deformee afin d'expliquer chacun de ses termes:
- Что такое советская власть?
- Советская власть - это коммунизм минус электрификация всей страны. 130
La facilite par laquelle les anekdoty jouent avec les slogans met en evidence l'inconsistance du discours ideologique. Il est possible y apporter tout genre de changement, car le texte n'a pas des referents dans la realite et les modifications introduites ne peuvent alors qu'ameliorer la valeur de l'information transmise, en la rendant plus proche a la vie reelle, dont les slogans se pretendent signes.
3.3.4 LA LANGUE DES DIEUX: LENINE
Meme si Lenine a ete l'objet d'une analyse detaillee dans le chapitre precedent, il est necessaire retourner aux anekdoty de son cycle, afin de prendre en consideration de facon plus approfondie un des aspects de sa masque: son discours, dont la production est liee au procede de l'hypercodification, fonctionnel a la realisation de l'utopie. Comme Lenine a ete l'objet apres sa mort d'une veritable mythologisation, son discours peut etre considere a la maniere de la parole d'une divinite paienne qu'on interroge pour obtenir la revelation sur la verite du monde et de la vie, dont elle seule est depositaire. En fait "Если Ленин - с точки зрения внешности, формы - не соответствовал традиционным представлениям о вожде, то в его практике принцип превосходства, личного убеждения в том, что правда содержится в его распоряжении, проявлялся с необыкновенной силой и последовательностью." 131 [Grygar, 1993: 386]. Cette conviction d'avoir la verite a sa disposition se devine justement de son discours et surtout de ses celebres affirmations, prononcees a propos d'ecrivains ou personnages politiques ou en occasion d'evenements historiques fondamentaux.
Dans les anekdoty, ses affirmations sont parodiees a cause de leur pretention d'irrefutabilite et d'absolu. Comme les slogans, elles sont soumises a hypercodification a l'interieur de la tradition rhetorique de la propagande et l'integrite de leur semantique est violee de la part de Lenine meme, qui ne respecte pas la stabilite des circonstances d'enonciation:
- Наденька, опять кто-то в газоне насгал! Сколько газ говогил: за этими ходоками надо следить!
- Никаких ходоков не было, Володенька. Приходил только Алексей Максимович...
- Так это Алексей Максимович! Экая глыба, экий матегиый человечише! 132
Les expressions ekaja glyba (une telle pierre milliaire) et ekij materyj celovecisce (une telle puissance humaine) refletent le jugement de Lenine a propos de M. Gor'kij, ecrivain revolutionnaire par excellence. Dans le texte elles sont utilisees dans une circonstance sordide, dont signe est le verbe vulgaire nasrat' (chier). Ce verbe suscite leur litterarisation, de facon que la metaphoricite du modele de Gor'kij se perd, et la connotation de la deuxieme expression de spirituelle ("puissance intellectuelle") devient materielle ("puissance physique"), ce qui provoque une nette degradation de l'ecrivain objet du discours. Voila un autre exemple:
На день рождения Ленину подарили горшочек с цветами. Он цветы срезал и протянул горшочек к секретарю:
- А землю отдайте крестьянанм ! 133
L'expression a zemlju otdajte krest'janam ! (et la terre, donnez-la aux paysans) est la metaphore de la politique economique adoptee par les bolcheviks et concernant la redistribution des terres aux paysans. La circonstance d'usage attribue au contenu inchange de l'expression un referent nouveau, qui cause aussi un changement en negatif de sa connotation: le concept de "terre" correspond a une maigre poignee, qui dans le contexte de la reforme economique apparait ridicule. Lenine s'est moque du peuple, en lui faisant croire qu'il lui aurait donne la terre, dans le sens des champs, quant au contraire la quantite de terre leur destinee n'est que celle contenue dans un pot. Le contenu ne change pas, changent le referent et la connotation:
- Все работаете, Владимир Ильич. Отдохнули бы, поехали за город с девочками!
- Вот именно, батенька мой, с де-воч-ка-ми! А не с этой политической проституткой Троцким! 134
L'expression politiceskaja prostitutka Trockij est la metaphore utilisee par Lenine pour indiquer la volubilite politique de Trockij, qui changeait sa position politique souvent, exactement comme une femme qui se prostitue change d'hommes. Les traits de changement et volubilite, en commun entre "Trockij" et "prostituee", permettent la creation de la metaphore. Dans le texte la presence de l'unite semantique devocki (filles) suscite la litterarisation de la metaphore, de meme qu'elle avait permis sa creation. Le modele de Trockij, bien restant immuable, est soumis alors a devalorisation.
Les exemples cites montrent comme la deformation semantique concerne aussi bien le niveau referentiel des affirmations, que celui connotatif. Le contenu des affirmations reste inchange, alors que son referent devient, au contraire, un objet autre de celui originel. Le nouveau referent est semantiquement lie a celui initial, dont il apparait une extension ou une reduction semantique, mais avec une connotation negative, puisque il appartient a une realite baisse et infime, dont l'affirmation est signe.
3.3.5 SLOGAN ET INTERTEXTE
L'analyse conduite dans le paragraphe precedent met en evidence une specificite de cette categorie d'anekdoty: l'intertextualite comme condition indispensable a la comprehension du texte a travers la connaissance des textes anterieurs autres. L'intertextualite, du reste, est etroitement liee au principe de l'hypercodification du discours ideologique, auquel est inevitablement soumis le slogan aussi: seulement en presence d'hypercodification il est possible referer le texte a interpreter a une serie de textes precedents. Les anekdoty sur les slogans se presentent comme le champ d'application de la tactique de la decodification, dont le but de contraster le controle politique et le monopole de l'interpretation des messages ideologiques est atteint par la modification des circonstances de production et de reception du message. L'anekdot cree alors un texte refletant le fonctionnement du slogan: le slogan, extrapole de son texte originel, est transpose dans un nouveau, ce qui fait du anekdot un intertexte, ou l'intrigue se developpe autour du slogan politique, present sous forme de citation, objet de parodie et de desacralisation.
Le slogan est donc une sorte de texte intrus dans un texte hote, par rapport auquel il se trouve en position de dependance, et du point de vue semantique en subit profondement l'influence. Le slogan, etant partie du texte majeur de la propagande, porte en soi les traces de son ancienne appartenance, et surtout de l'hypercodification de sa forme, de son contenu et de son usage precedents, de facon que toute variation minimale dans une de trois categories citees suffit a le transformer dans une nouvelle unite semantique finie, suffisante et autonome du texte majeur. Les variations sont causees par le texte hote, qui fonctionne comme provocateur. Il catalyse le changement semantique du cliche par l'action de son contexte, parseme de signes renvoyant au non-dit, qu'originairement le slogan cachait en vertu de son pouvoir mystificateur et qui deviennent ses nouveaux referents. Le slogan dans l'anekdot en fait est insere dans de nouveaux contextes qui contrastent nettement avec ses circonstances d'applications usuelles: si dans le rituel il se deplacait dans des espaces atemporels et impersonnels et decrivait le monde iconographique de l'utopie, dans l'anekdot il apparait dans des situations enracinees dans une realite historique precise, qui se substituent aux reves utopiques de la propagande et deviennent ses referents. Il est donc evident comme le slogan s'adapte completement aux nouvelles conditions du texte hote, en realisant une intertextualite, marquee par la complete assimilation du texte intrus dans le texte hote, typique du reste de la creation artistique folklorique, comme remarque G.A. Levinton: "(...) фольклорный текст заимствует сюжеты, мотивы, размеры и жанры из литературы, стремясь максимально их ассимилировать, и уж во всяком случае не заботиться о демонстрации своего подтекста. (...)"135 [Levinton, (a)]. L'assimilation se realise non seulement semantiquement, mais aussi du point de vue formel: le slogan devient une sequence narrative en harmonie avec le texte du anekdot, replique dans le dialogue, enonciation lapidaire dans l'aphorisme, question ou reponse dans la devinette. Cela permet de definir les anekdoty de cette typologie par un terme propose par E. F. Hellberg (Hellberg, 1988), perevertisi: "(...) Перевертыш - это результат изменения первоначального традиционного смысла фольклорной единицы (например, пословицы) путем трансформации ее отдельных элементов или подставления в чужеродный контекст. (...)"136 (Hellberg, 1988 : 293). Le texte ainsi produit n'est pas un nouveau texte mais une sorte de reproduction deformee du texte initial, visee au travestissement carnavalesque du sens du slogan, profane de l'interieur. La nouvelle interpretation du slogan non seulement permet au destinataire de redecouvrir la liberte d'attribuer aux messages un contenu different, mais confere au slogan traits de veridicite, car elle correspond a la realite, dont le texte devient signe. La mensonge devoilee, la profanation du slogan equivaut a la profanation du rituel qu'il tenait en vie.
3.4 LES SOVIETISMES
Les sovietismes sont une classe de lessemes, neologismes ou termes deja existants de la langue russe, utilises pour decrire exclusivement les phenomenes propre a la societe sovietique, dans des circonstances rituelles. Leur traits essentiels concernent la reduction et la radicalisation semantiques. Cela signifie que les mots ne sont composes que par quelques traits semantiques et caracterises par une connotation emotive preponderante, positive ou negative, qui a l'interieur du mot joue un role bien superieur a celui du signifie, de facon que ":utterances in Soviet ideological language communicated some message of how one should treat the facts rather than just describing these facts." 137 [Smelev, 2001: 101]. La langue officielle permet de parler d'arguments tres simples et lineaires et de simplifier la realite, jusqu'a la reduire a une competition entre le Bien, personnifie par l'URSS et le Mal, represente par les pays capitalistes. Les anekdoty montrent la manipulation effectuee au niveau des traits semantiques des lessemes, en denoncant l'appauvrissement du lexique et l'impossibilite, a travers ce langage, de decrire la vie reelle. Le rapport entre le mot-signe et la realite-objet est absurde (sovietismes semantiques et stylistiques), ou bien, quand existant, le referent est digne d'etre denigre (sovietismes lexicaux).
3.4.1 SOVIETISMES SEMANTIQUES
La locution utilisee dans le titre designe tous les termes de la langue russe, caracterises par desemantisation et ideologisation. Sur la base d'un procede de degradation ou amelioration du sens le signifie initial de ces termes est prive des traits consideres "deviants" par rapport au message ideologique, respectivement positifs et negatifs. Le signifie, ainsi "purifie", se radicalise autour des traits restants, soumis a ideologisation et connotes negativement ou positivement, selon que son referent soit condamne ou exalte par la propagande, ce qui provoque une restriction du sens du mot et son usage arbitraire. Par exemple, les termes sionist, mason, rusofob, kosmopolit, inorodec (sioniste, macon, russophobe, cosmopolite, allogene), malgre dans la langue quotidienne aient des signifies differents, en kanceljarit deviennent tous synonymes du mot "juif". Les sovietismes semantiques, en vertu du jugement qu'ils contiennent implicitement, forment souvent des couples d'antonymes ideologiques, dont les termes, bien que synonymiques, designent des phenomenes identiques mais ideologiquement consideres opposes. D'un cote on trouve le terme refere au monde sovietique, souvent ayant une racine slave, caracterise positivement et lie a la conception d'egalite et du pouvoir entre les mains du peuple. De l'autre se situe celui correspondant dans le monde capitaliste, negativement connote, car reflet de l'exploitation du peuple de la part des riches, comme sputnik/satellit, razvedcik/spion, internacionalizm/kozmopolitizm (satellite, espion, internationalisme).
Les mots de cette categorie lexicale, prives de leur signifie traditionnel, sont transformes en signes de phenomenes de la specifique realite sovietique, avec lesquels pourtant ils ne partagent pas de traits semantiques. Malgre le lien referentiel entre eux soit absurde, ces mots ne peuvent designer rien d'autre que l'objet du monde sovietique leur assigne. A cause de cela les sovietismes semantiques sont un exemple parfait de l'appauvrissement des potentialites expressives, auquel fut contrainte la langue russe et de la politique linguistique de la mensonge poursuivie par le gouvernement: termes deja existants et ayant un signifie defini designent de facon plus que arbitraire phenomenes nouveaux, en contraignant a une definition fausse de la realite. Ils travestissent les realia sovietiques des habits du phenomene traditionnellement designe avant la desemantisation et en empechent une definition exacte.
Les anekdoty soulignent l'absurde du lien entre le mot-signe et la realite-objet et mettent en cause la valeur de ces termes, reelle seulement a l'interieur du rituel, de la fiction de l'utopie consideree comme realite realisee. Lorsque utilises en dehors de l'espace mythologise, ils se revelent dans toute leur inconsistance semantique. La denonce du absurde du lien referentiel, et la consequente risemantisation des sovietismes semantiques est effectuee par le type du ruse, qui, connaissant le fonctionnement reel du systeme, profite de sa condition hors des normes pour parvenir a faire eclater expres la faussete du kanceljarit:
Рабиновича пустили в туристическую поездку по странам народной демократии. Он присылает телеграммы:
"Привет из свободной Болгарии. Рабинович"
"Привет из свободной Румынии. Рабинович"
"Привет из свободной Венгрии. Рабинович"
"Привет из Австрии. Свободный Рабинович" 138
Le terme au centre de cet anekdot, svoboda (liberte), en epoque sovietique avait ete profondement politise et ideologise en fonction de son role central dans l'ideologie: "libres" etaient seulement les pays des democraties populaires, ou le peuple etait le patron, alors que dans les pays capitalistes le peuple, exploite par une elite, vivait en esclavage. L'anekdot se compose de deux types de textes. Le texte ideologique occupe les trois premiers telegrammes de Rabinovic, envoyes des democraties populaires visitees et libres selon la propagande. Le texte reel se reduit au dernier telegramme, ecrit en Autriche, un pays capitaliste et selon propagande non libre, mais dans lequel c'est le citoyen a devenir libre. Donc la proclamee liberte sovietique est une condition qui n'est pas donnee a vivre au citoyen, elle est une sorte d'etiquette ideologique, qui cache au contraire une situation de complete absence de liberte, et seulement dans la derniere replique le terme se reapproprie de ses traits semantiques.
Les sovietismes semantiques ne peuvent pas etre utilises dans un discours referentiel, car ils produisent un message mensonger. Afin qu'ils puissent parler de la realite, il faut les accompagner par des attributs, qui en precisent la reference au contexte sovietique, qu'ils visent a exprimer, comme dans l'anekdot suivant:
- Когда состоялись первые советские выборы?
- Когда бог поставил перед Адамом Еву и сказал "выбирай себе жену"! 139
Le terme vybory "elections" implique un acte de choix parmi differentes possibilites. Ce terme etait applique aux elections sovietiques, il suffit de citer le slogan Vse na vybory (Tous aux elections!), mais renvoyait au referent faux des elections a candidature unique, qui ne correspondait pas a la semantique de son contenu. Son usage etait plutot une tentative de conferer une semblance de democratie au systeme totalitaire. Le texte reattribue au mot un referent par l'ajoute de la specification sovetskie (sovietiques) et porte un exemple pour illustrer son signifie reel.
Parmi les sovietismes semantiques se distingue une serie de termes de la langue russe qui, a cause de l'exasperation de certains aspects du byt, si utilises dans des circonstances particulieres, deviennent automatiquement signe exclusif du phenomene designe:
- Что это за очередь? - спрашивает иностранец.
- Масло дают.
- О! У нас только продают! А это что за очередь?
- Ботинки выбросили.
- Какие - вот эти? У нас такие тоже выбрасывают. 140
Les verbes dat' (donner) et vybrosit' (jeter) sont signes du specifique acte de vente en URSS, determine par la penurie constante des marchandises. A cause du deficit (penurie) les magasins proposaient un choix tres limite et souvent presentaient de desolantes etageres vides. L'approvisionnement des marchandises etait inconstant, elles apparaissaient de temps en temps et en grandes quantites. A la suite de cet evenement, en dehors des magasins, se formaient de queues interminables de citoyens qui attendaient patients leur tour pour recevoir quelques exemplaires du produit apparu. Le fait que les marchandises arrivaient dans les magasins en stock enormes, tout a coup, et qu'elles etaient achetees par les citoyens, tenailles par la peur de ne pas profiter suffisamment de l'occasion, en grande quantite faisait surgir spontanee la comparaison de l'acte de vente au detail avec celui en gros et le verbe vybrosit' alors transforme son quatrieme signifie "introduire dans le marche" en "vendre". De meme, etant la vente pareille plus a une distribution des marchandises a des prix tres bas qu'a un veritable achat, le verbe dat' perd son signifie originel de "donner" et acquiert celui de "vendre". L'etranger, un individu exterieur au monde sovietique, ne connait pas le veritable fonctionnement de la societe et donc les nouveaux signifies sovietises des mots, et interprete les verbes dans leur signifies traditionnels et premiers, en se limitant a la constatation des apparences. Le verbe vybrosit' acquiert le sens de "jeter quelque chose pour s'en debarrasser", du reste son usage le plus frequent est dans la locution vybrosit' musor "jeter les ordures", ce qui confere au complement d'objet direct du verbe une connotation negative. Le verbe dat' est interprete comme "faire cadeaux de quelque chose". Donc l'etranger valorise les traits pertinents du signifie des mots, alors que les sovietiques ceux accessoires, modifies sous l'influence de la situation concrete, en utilisant les mots de facon presque metaphorique. Le mot, caracterise par appauvrissement semantique, ne peut designer qu'une seule realite:
- Солнышко село!
- За что? 141
La deuxieme replique du dialogue montre que l'idiome solnysko selo (le soleil s'est couche) est interprete sur la base du signifie parle du terme sest' "etre en prison". Ce signifie devient premier a l'interieur du mot, a cause de la portee du phenomene de la reclusion, tellement vaste au point d'effacer tout autre signifie du mot et d'ignorer l'absurde de l'interpretation proposee.
3.4.2 SOVIETISMES STYLISTIQUES
Il s'agit de la tendance a utiliser les termes en locutions stables qui deviennent une sorte d'idiomes cliches et ideologises, comme par exemple kapitalizmRzakat, krizis, zagnivat' (capitalismeRdeclin, crise, se putrefier), kommunizmRstroit', cel', svetloe buduscee, izobilie (communismeRconstruire, but, avenir radieux, abondance). Comme dans la plupart des cas il s'agit de locutions metaphoriques, leur fonction denotative est nulle et elles constituent un defi pour l'entendement du destinataire, leur interpretation dependant etroitement du contexte d'enonciation. Et en effet, leur utilisation dans des circonstances non rituelles souligne l'absurde de ces cliches, qui decrivent une realite existante seulement au niveau de la propagande, car dans la realite leur signifie contraste avec l'objet designe. Dans le dialogue c'est encore une foi l'etranger avec sa naivete a demetaphoriser l'image du cliche:
- Что это за люди едут с нами? - спрашивает иностранец в переполненном автобусе.
- Это хозяева страны!
- А это кто проехал? - он показывает на обгонявшую их "Чайку".
- А это слуги народа! 142
Le terme chozjajn (maitre) est avant tout caracterise par le trait semantique "possession, propriete", slug (serviteur) par celui de "etre au service d'une autre personne" de facon que par rapport a chozjajn il se trouve dans une position de dependance et donc d'inferiorite economique et sociale. Selon la propagande sovietique chozjaeva strany (maitres du pays) etait le peuple, alors que slug naroda (serviteur du peuple) etaient les politiciens, mais la realite demontre l'exacte contraire, car le peuple-chozjain voyage sur des autobus bondes, alors que les politiciens-slug sur des voitures privees, ce qui montre l'absurde du rapport entre le signe et son objet. La meme fonction de devoilement est effectuee par le ruse:
НЭП. Рабиновича пригласили в ЧК:
- Мы строим социализм, но у нас денежные затруднения. И мы расшитываем на вас, товарищ Рабинович. Наверняка у вас припятано золото. Сдайте его.
- Я должен спросить жену.
Назавтра его снова пригласили:
- Что сказала ваща жена, товарищ Рабинович?
- Она сказала: "пусть не строят. У меня тоже нет денег - так я ведь не строю!" 143
Le sovietisme stylistique "construction du communisme", apparu apres la Revolution d'Octobre avec l'hymne Internacional "My postroim novyj mir, nas mir/Kto byl nicem, tot stanet vsem !" 144 , est utilise dans son sens litteral. La simple manque d'argent, necessaire, par exemple, pour l'achat des materiels de construction, suffit a pousser les gens a renoncer au communisme, d'ou la diminution de sa valeur.
La typologie a devinette bien se prete a la litterarisation des sovietismes stylistiques. La question reproduit le cliche metaphorique, alors que la reponse en donne une interpretation litterale, liee a la situation reelle:
- Это небось духи с загнивающего запада?
- Загнивать-то он загнивает, но каков запах! 145
Dans les textes de la propagande sovietique le monde capitaliste etait peint sous des tonalites sombres et negatives, comme dans ce cas, ou zapad (ouest) s'associe a zagnivat' (se pourrir), signe de son etat de corruption et de degradation morale. Le verbe est en fait utilise dans son signifie metaphorique de "putrefaction morale". Mais l'eau de parfum (duxi), apportee de l'ouest, suscite l'activation du champ semantique des odeurs: la bonne odeur de l'eau de parfum contredit la mauvaise odeur de l'ouest en putrefaction. La putrefaction de morale devient materielle et le sovietisme-signe apparait absurde, car contredit par la realite. Un autre exemple:
- Что такое наручники?
- Узы братской дружбы.
- А что такое танк?
- Карета неотложной братской помощи. 146
Dans le vocabulaire Slovar' jazyka Sovdepii le sovietisme semantique bratskij (fraternel) resulte un des plus productifs dans la creation de locutions idiomatiques, comme bratskaja pomosc' (aide fraternel), ainsi definie: "Помощь СССР странам Варшавского договора, а также странам третьего мира (просоветской ориентации)" 147 [Mokienko, Nikitina, 1998: 65]. En realite l'aide fourni consistait dans les interventions armees pour soutenir les gouvernements communistes et etouffer les revoltes populaires, ou dans la vente d'armes aux pays du Troisieme Monde. L'anekdot montre comme l'amitie entre les peuples communistes en realite n'etait rien de plus qu'un rapport d'oppression militaire de la part de l'URSS. Dans le texte les locutions bratskaja druzba (amitie fraternelle) et bratskaja pomosc' (aide fraternelle) sont associees a des termes appartenant au domaine militaire. Ces termes sont definis a nouveau et de facon metaphorique sur la base d'idiomes de la langue russe adaptes a la situation, determinee par le sovietisme bratskij. Les cliches sovietiques, au contraire, sont demetaphorises sous l'influence de leurs referents, les objets militaires, qui en illustrent le contenu:
- uzy est un terme de style eleve utilise soit en reference a sentiments positifs comme uzy druzby (liaisons d'amitie), soit dans la locution uzy rabstva (liaisons d'esclavage), les deux sous-entendus, car les liaisons d'esclavage sont camouflees en liaisons d'amitie, comme demontre par les menottes, qu'ils indiquent,
- kareta (carrosse) apparait dans l'idiome kareta skoroj pomosci (ambulance) et bien s'associe au tank. Les deux sont un moyen de transport, caracterise par la rapidite de l'intervention. Les allusions aux evenements tragiques de Budapest et de Prague sont evidentes.
Les sovietismes stylistiques concernent aussi certaines expressions faites, comme les salutations, qui, deracinees de leur circonstance rituelle d'utilisation, et appliquees a des situations specifiques, acquierent sens et connotation nouveaux, leur referent est degrade:
Сталин обходит тюрьму. Спрашивает:
- Где у вас самые страшные преступники - бандиты, насильники, убийцы?
- В другом коридоре! - отвечают. Приходят туда. Сталин говорит:
- Здравствуйте, бандиты, насильники, убийцы!
Они отвечают:
- Здравствуй, наш дорогой, любимый вождь и учитель! 148
Dans ce cas le changement de la circonstance d'enonciation provoque un glissement du sens dans l'adjectif possessif nas (notre). En tant que deictique, il change son sens selon la situation et dans le texte cite se refere non plus au peuple sovietique dans sa totalite mais aux locuteurs de l'enonce, a savoir les criminels terribles: ce changement agit au niveau de la connotation, en transformant Staline en delinquant.
3.5 SOVIETISMES LEXICAUX
Il s'agit d'une classe de neologismes, crees pour nommer les nouveaux phenomenes du monde sovietique selon la methode de la formation de mots par abreviation. Cette methode etait consideree "revolutionnaire", signe distinctif de la nouvelle politique linguistique de l'Etat sovietique et son choix etait justifie par la necessite d'economiser le propre temps:
"Если в старое время хватало времени и терпения сказать "Командующий пятой армии", то теперь едва поспевают бросать "Командарм 5". И все. Кратко. И, несомненно, красиво. Как бы то ни было, но революции, во всяком случае, некогда было считаться с музыкальностью новых словообразований." 149 [cit. en Panov, 1968, vol. 2: 89].
Zil'bert [Zil'bert, 1994: 50] soutien que la motivation reelle a la base de cette politique linguistique concernait la necessite de couper tout lien associatif avec les concepts du passe tsariste, dont le souvenir aurait pu etre suscite par certaines composants lexicaux des mots. Generalement les procedes utilises dans la formation de nouveaux mots sont quatre:
1. Perte du substantif et contraction de l'adjectif dans une locution verbale adjectif+substantif: l'adjectif perd sa terminaison, substituee par le suffixe -k(a), nominal, feminin, selon un procede typique du langage familier. Par exemple: kommunal'naja kvartiraRkommunalka (appartement en cohabitation).
2. Union des lettres initiales de termes composants une locution verbale. Par exemple: Komitet Gosudarstvennoj BezopasnostiRKGB (Comite pour la surete de l'Etat).
3. Union des syllabes initiales de termes composant locutions verbales adjectif+substantif. Par exemple: general'nyj sekretar'Rgensek (secretaire general).
4. Coupure des syllabes finales d'un mot, reste la racine. Par exemple: zamestitel'Rzam (vice-).
La langue russe fut envahie par une abondance d'abreviations de difficile comprehension, qui dans les anekdoty sont reinterpretees afin de baisser la valeur mythologisee de leur objets. Meme si la reinterpretation des abreviations est un procede typique de l'humour politique, les abreviations en question n'appartiennent qu'au deuxieme et au troisieme types cites par la facilite avec laquelle, grace a leur structure formelle, elles se pretent aux jeux semantiques propres a l'anekdot. Le cas plus classique de reinterpretation concerne les sigles (deuxieme type). Aux initiales composant la sigle sont attribues de nouveaux mots, sur la base des circonstances historiques d'enonciation:
СССР - Сами себя сделали рабами
Сталин сидит среди развалин.
Сгоняй Сталина, спасай Россию. 150
Dans le texte cite les acronymes, consideres a la maniere de formes vides, sont dechiffre de facon alternative et acquierent des signifies nouveaux, qui font de l'acronyme le signe d'une realite nouvelle. Les nouveaux signifies sont bien plus specifiques que celui officiel et se referent a des aspects precis de la plus generique realite sovietique. Un autre exemple:
- Какая разница между уткой обыкновенной и журналистской? - спросили поляка.
- Первую подзывают "тась тась тась", а вторую "тасс тасс тасс". 151
L'abreviation parodiee est TASS - telegrafnoe agenstvo sovetskogo sojuza (agence telegraphique de l'Union Sovietique), alors que tas' est le mot onomatopeique qui indique le cri du canard: l'abreviation est transformee par homophonie dans le cri d'un canard "journaliste", ce qui equivaut au denigrement de l'agence de presse.
Pour la reinterpretation du deuxieme type d'abreviations la typologie textuelle a devinette est la plus indiquee. L'abreviation prise en consideration est le resultat du coupage de deux mots, dont elle reunit les racines. Ce coupage etait fait dans l'intention d'eliminer tout possible lien avec des traits evoquant concepts ideologiquement deviants. Les mots, cependant, entretiennent generalement entre eux non seulement des rapports de sens, mais egalement des relations formelles. Ces dernieres, dans certains cas, peuvent influer sensiblement sur le sens des mots en provoquant le passage arbitraire de traits semantiques d'un mot a l'autre. Selon la logique absurde des anekdoty, en effet, deux mots, en vertu d'une simple assonance entre eux, sont consideres comme identiques du point de vue semantique. Cela provoque un changement semantique de l'un d'eux en direction de l'acquisition des traits semantiques de l'autre. Ce mecanisme, ayant la denomination d'attraction paronymique, determine la construction du texte de l'anekdot, ou la question postule implicitement l'identite entre deux termes proches du point de vue de l'expression et attire l'attention sur leur differences et similitudes:
- Какая разница между гомосеками и генсеками?
- Первые обнимаются тайно, а вторые - в аэропорту при всех! 152
La paronomasie de cet anekdot se verifie entre gomosek (homosexuel) et gensek (secretaire general), deux termes abrevies, decomposables en gom+sek et gen+sek. Les premiers composants gom/gen phonetiquement se ressemblent pour la consonne initiale commune -g- et pour les nasales finales n/m, sonore et sourde: ils sont respectivement abreviations de la racine gomo- et de l'adjectif general'nyj. Le composant -sek, au contraire, est le meme seulement en apparence: -sek est la meme abreviation pour les deux termes semantiquement eloignes seksualist et sekretar'. Demander de souligner la difference entre deux personnages, gomoseksualist et general'nyj sekretar', qui n'ont pas de traits semantiques pertinents en commun, sauf celui de "homme", signifie postuler leur identite, comme confirme par la reponse donnee, qui supere en absurdite la question. De cette facon le lesseme generalnyj sekretar' ajoute a ses traits semantiques les traits pertinents propres a gomoseksualist et son signifie s'enrichit de facon negative, vu que l'homosexualite etait interdite en URSS. Voila un autre exemple de paronomasie effectuee sur les abreviations:
- В чём сходство и различие между матом и диаматом?
- Мат все знают, но притворяются, что не знают. Диамат никто не знает, но все притворяются, что знают. И то, и другое является мощним оружием в руках пролетариата. 153
Le terme collectif mat indique le lexique obscene et est contenu dans diamat, abreviation de dialektixeskij materialism (materialisme dialectique), la philosophie sur laquelle se basait l'ideologie sovietique, que tout le monde etait cense connaitre, alors qu'il etait interdit de s'exprimer par le langage obscene. L'anekdot dessine une situation contraire et diamat se reduit a un sovietisme prive de sens, car personne ne sait de quoi il s'agisse exactement. La reinterpretation directe des abreviations provoque des changement dans leur signifie, dans le but de se moquer du referent reel du mot sur la base des circonstances historiques.
CONCLUSION
L'analyse effectuee dans les chapitres precedents nous permet de tirer quelques conclusions concernant le fonctionnement semantique des anekdoty.
L'anekdot, comme genre du discours oral, est utilise par un locuteur afin de transmettre un message comique, consistant dans la parodie d'un aspect determine de la realite, susceptible de provoquer le rire chez le destinataire. Du point de vue semantique, la structure de ce type de texte s'articule autour du nonsense. Generalement, le nonsense est produit par le conflit, a l'interieur d'un meme texte, entre deux sens differents, cependant relatifs a une seule realite. L'anekdot satisfait parfaitement les conditions necessaires a la creation du nonsense, qui surgit a cause de la violation des modeles de la realite, qui sont a la base du contenu du texte. L'anekdot reproduit un evenement tire de la realite mythologisee, qui cependant dans le final apparait comme deforme a cause de son acquisition d'un sens autre par rapport a celui lui assigne par la propagande. A la suite de cette deformation, les presuppositions faites par le destinataire a l'egard du texte, et correspondantes a son sens originel, sont lesees: la nouvelle interpretation comporte la contradiction d'une information qui etait donnee pour acquise dans le discours, en creant ainsi une incongruite semantique. Si on peut affirmer a propos de la congruite que "An utterance u is contextually appropriate if all presupposition of u are identical to or compatible with all the presuppositions of the context C in which u is uttered (:)"154 [Attardo, 2000: 818], l'incongruite, par contre, n'est rien d'autre que l'impropriete de l'enonce par rapport au contexte ou arriere-plan partage par les interlocuteurs.
L'arriere-plan, en effet, joue dans les anekdoty un role fondamental, etant a la fois instrument et but du texte. Les thematiques affrontees dans les textes sont tirees de l'espace mythologisee de la propagande, par consequence tout evenement, personnage et idee resulte enregistre dans le systeme ideolinguistique de la propagande, qui le soumet a hypercodification, en provoquant la transformation de ces unites thematiques en cliches. Or, le cliche se caracterise d'abord par un sens fixe, qui entraine consequemment l'inseparabilite du signe et de son referent, de facon que son champ semantique et referentiel est deja connu au destinataire de l'anekdot. Des le debut de la performance, alors, le destinataire peut elaborer des hypotheses a propos du denouement successif de l'intrigue sur la base des informations contenues dans son background socioculturel. L'arriere-plan du homo sovieticus est cependant double, comprenant d'un cote le niveau officiel et rituel de la realite, et de l'autre l'espace du byt. Si le niveau officiel fournit les motifs pour la creation de l'intrigue et consequemment la cle a leur interpretation, le byt, ou mieux le devoilement de ses aspects tabous, est le but de la deformation semantique a la base du anekdot: dans la replique finale les presuppositions sont detruites par l'insinuation d'une nouvelle interpretation de la situation affrontee, qui correspond a une deformation de cette derniere. L'analyse effectuee sur les deux cycles d'anekdoty, sur les politiciens et les heros culturels, et sur le kanceljarit, a permis d'etudier deux types de relation entre l'anekdot comme signe et la realite comme objet, ainsi que les mecanismes sous-jacents a la deformation.
Les cycles sur les politiciens visent a en faire la caricature sur la base d'un mecanisme de changement indirect de leur identite sous l'influence de la transformation du contexte. Le personnage agit dans des situations anormales par rapport a ses avant textes, mais reagit en restant fidele a son modele originel: si d'une part, alors, sa reaction correspond parfaitement aux attentes du destinataire du anekdot, de l'autre, par rapport au nouveau contexte, elle apparait comme impropre, etant le jugement qu'il exprime a propos de la situation non correspondant a elle. Le contraste qui surgit entre la semantique, variable, de la situation representee et celle, immuable, qui remplit le personnage, fixe les traits caracterisant sa nouvelle identite caricaturale. Les traits fixes sont ceux exprimes par sa reaction a la situation. Le personnage ainsi obtenu se presente comme une variante deformee de son prototype: les changements de son identite concernent d'une part les traits semantiques qui la composent et de l'autre le sens general lui attribue, impliquant aussi le jugement du observateur exterieur a son egard. L'identite du personnage se cristallise autour peu de traits grotesques et stables, presque comme dans une masque carnavalesque, qui font de lui une caricature, dont la valeur est decidemment amoindrie par rapport a celle du prototype. Meme si le mecanisme de la deformation du modele change de cycle en cycle selon les caracteristiques propres a chaque personnage, il vise toujours a la creation d'un contraste absurde entre le contexte et le personnage, de facon que la reaction de ce dernier apparaisse convenable au background de connaissances anterieures sur lui mais impropre a la situation:
- Lenine: contraste entre la valeur mythologisee du jugement et son nouveau referent bas;
- Staline: contraste entre la banalite de la situation et l'extremisme sanguinaire du personnage;
- Chruscev: contraste entre l'atmosphere culturelle et raffinee de la situation et la vulgarite du personnage;
- Breznev: contraste entre le jugement a propos d'une situation et l'inexistence de la meme.
La creation de l'absurde dans les anekdoty sur les politiciens est fonctionnelle non seulement a leur transformation caricaturale, mais aussi a la denonce de la faussete des textes politiques officiels: a l'interieur de l'espace ideologique tout est farce, comportements, actions et affirmations sont artificiels et programmes. Toute variation minimale de cet espace suffit a le desacraliser et a le transformer en espace reel, ou les personnages continuent, cependant, a agir selon le comportement leur fourni par le modele, en apparaissant acteurs absurdes d'une mise en scene.
Les cycles sur les heros culturels se differencient legerement de ceux sur les politiciens. Si les anekdoty sur les politiciens se basent sur un contraste passive entre deux semantiques, ceux sur les heros culturels fonctionnent grace a la creation d'un contraste actif: le politicien reagit a la situation inconsciemment, en reproduisant automatiquement le modele comportemental du prototype, alors que le hero culturel interprete la situation de facon active. A la suite de cette interpretation surgit un contraste entre lui et la situation jugee, qui est toujours differente de comme il la voit. En effet, bien que les contextes, dans lesquels agit le hero, changent en continuation et concernent des situations exterieures aux avant textes, la variabilite du cadre n'est pas directement fonctionnelle a la creation du contraste, qui plutot depend etroitement de la capacite d'evaluation du hero. Le mecanisme a la base de ces textes concerne l'incomprehension generale de la part du hero du monde autour de lui:
-Capaev: incomprehension du discours de l'interlocuteur et echec de l'acte communicatif;
- Stirlic: incomprehension de la situation observee.
Donc si dans les anekdoty sur les politiciens on manipule la semantique du contexte afin de parodier les personnages, incapables de reagir independamment du modele, dans les anekdoty sur les heros culturels la manipulation intervient directement sur la semantique du hero a travers sa capacite active de reflexion. Le resultat obtenu est le meme: le contraste entre la vision du monde du personnage et le monde dans ses aspects reels provoque la fixation des traits caracteriels du hero, qui transparaissent par ses repliques et qui deviennent les traits fondamentaux de la nouvelle identite du dvojnik. Meme si le contexte a un role plus limite que dans les textes sur les politiciens, on peut remarquer qu'en tout cas deplacer le personnage dans un lieu "atypique" a comme resultat sa transformation, en s'agissant d'une reaction a son hypercodification.
Le changement de cadre occupe une place fondamentale dans le cycle sur le kanceljarit aussi. L'interet extreme de ce type de textes reside dans le fait qu'ils remettent directement en cause l'interpretation unique des messages ideologiques et la justesse absolue de l'ideologie, ainsi que la vacuite de ce langage, qui designait une realite ne pas existante. Si le kanceljarit, utilise a l'interieur de l'espace a-historique du rituel, rendait realite tout ce qu'il nominait, lorsque transpose dans le byt, il produisait des absurdes, car ses signes ne correspondaient pas a la realite existante. L'analyse effectuee a demontre que la deformation semantique du kanceljarit s'appuie sur un trait fondamental de la production et de la comprehension du sens d'un message verbal: le contexte reel et concret de l'interaction linguistique. En changeant les circonstances d'usage du kanceljarit varie aussi le sens qu'on peut attribuer a ses termes en les interpretant: utilise en dehors des situations codifiees, a l'interpretation traditionnelle de ses unites semantiques s'en substitue une autre, qui se base strictement sur le nouveau cadre enonciatif. Du kanceljarit ont ete prises en consideration deux ses manifestations: les slogans et les sovietismes.
Dans le cas des slogans, on a mis en evidence trois cas:
- le dialogue: personnages correspondants aux modeles du trikster, par leur nature inclines a la violation des normes, interpretent le slogan par inference, en lui attribuant un sens nouveau sur la base du cadre d'enonciation. Leur interpretation s'appuie toujours sur les signifies litteraux des unites semantiques composantes le slogan;
- l'aphorisme: le slogan est precede par l'indication du lieu ou il est affiche, qui provoque l'attribution d'un sens nouveau aux deictiques presents dans son texte. Ces deictiques creent une reference situationnelle au lieu d'affichage. Parfois le sens change a la suite de modifications du slogan par l'insertion de lessemes nouveaux ou bien par la substitution des lessemes presents avec des autres.
- la devinette: le slogan y est utilise comme cle. Sa lecture litterale est le theme de la question posee, ce qui indique son interpretation alternative.
La nouvelle interpretation du slogan est conditionnee par la semantique du cadre d'enonciation, dont le slogan devient signe.
L'analyse effectuee sur les sovietismes a montree que l'influence de la situation non codifiee est determinante pour les glissements semantiques des sovietismes aussi. En ce qui concerne les sovietismes semantiques et stylistiques, il s'agit de remettre aux mots les traits semantiques de leur signifies originels, qu'ils avaient perdus a la suite de leur desemantisation ideologique. Utilises dans des situations non codifiees, donc en dehors du rituel, ils sont soumis a une lecture litterale ou bien opposes aux referents dont ils devraient etre signes. Pour les sovietismes lexicaux, par contre, s'agissant de neologismes crees expres pour decrire les nouveaux phenomenes du monde sovietiques, il s'agit de denigrer a travers le terme son referent, ce qui est fait par la variation du signifie du mot, auquel sont attribues des traits semantiques appartenants a des phenomenes negatifs du byt a travers le mecanisme de l'attraction paronymique.
La deformation du modele assume des valeurs differentes pour les deux cycle analyses. Dans les cycles sur les politiciens, elle interesse surtout le niveau pragmatique du signe. En effet, la dualite semantique concernant l'identite du hero en realite est une dualite liee aux jugements de valeurs produits par le locuteur et le destinataire a l'egard du personnage: les variations semantiques introduites dans l'identite du personnages ne concernent pas l'acquisition de nouveaux traits, mais la reduction et la reorganisation des precedents. A la suite de cet "amenagement", l'identite du personnage acquiert une valeur differente et determinee par les traits hyperbolises, qui contraste nettement avec la precedente, car il s'agit d'une abaissement de son etat mythologise. En ce qui concernent les anekdoty sur le kanceljarit, au contraire, la deformation du modele provoque une vraie duplicite semantique, car elle interesse les niveaux significatif et referentiel du signe. La reinterpretation du kanceljarit suscite dans le lesseme des glissements semantiques. A leur tour, ils entrainent l'acquisition d'un referent nouveau, qui partage avec son signe les traits semantiques pertinents.
Malgre les deux differents types de deformation du modele, semantique et pragmatique, les anekdoty se construisent indifferemment sur une duplicite semantique, due a la reinterpretation d'un concept ou phenomene connu. Etant ce dernier hypercodifie et enregistre dans la tradition rhetorique de la societe, afin de pouvoir le reinterpreter il est necessaire l'inserer dans des situations non codifiees. Ce deplacement suscite une nouvelle interpretation de l'unite semantique par inference, a travers l'emission d'hypotheses fondees sur le cadre enonciatif. Ce mecanisme par abduction permet alors la transformation du anekdot, contenant le cliche deforme, en signe d'une nouvelle realite, qui correspond en quelque sort a tout ce qui etait considere tabou par la propagande.
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- Le terme russe anekdot correspond au francais histoire drole. Dans ce memoire, il sera cependant utilise, pour raisons de praticite, dans sa forme russe originelle, transcrite, en qualite de synonyme de la locution "histoire drole sovietique politique des annees 70" et seulement avec cette acception. Dans les cas autres on se servira du terme francais histoire drole.
- "La Russie est la mere des anekdoty. Nous avons fonde un Etat-anekdot. Quand le pathos dore disparait, il ne reste que l'anekdot.".
- Selon la definition de S. Ju. Nekljudov: "Пост-фольклор как объект изучения относится к так называемой третьей культуре, которая дистанцирована и от культуры элитарной, официально санкционированной, и от патриархальной сельской ("традиционно-фольклорной"). В свою очередь она включает гетерогенные и гетероморфные элементы - и массовую культуру как таковую, производимую профессионалами для "сбыта", и низовой фольклор, создаваемый самими носителями для "потребления". (...)" [Nekljudov, (a)]. (Le post-folklore comme objet d'etude se refere a la soi-disant troisieme culture, separee de la culture elitaire, sanctionnee officiellement, ainsi que de celle patriarcale de la campagne ("traditionnelle"). A son tour elle comprend des elements heterogenes et heteromorphes, a savoir la culture de masse en tant que telle, cree par des professionnels pour la "vente", et le folklore bas, produit par les memes porteurs de folklore pour "l'usage".).
- Le terme russe anekdot vient du francais anecdote et apparut en Russie pendant le XVIII siecle, quand commencerent a circuler les premiers recueils humoristiques d'anecdotes francais et allemands. Ces anecdotes peu a peu acquirent des traits nationaux et vers 1820-1830 devinrent le genre principal qui animait les conversations mondaines de l'epoque. Cependant la vraie origine du mot remonte au grec ancien anecdotos (du verbe ecdidomi " remettre, restituer " plus la particule privative a-) qui initialement avait trois sens : 1- non remis , 2- non mariee, 3- non publie, inedit. Ensuite seulement le troisieme sens resta en usage et le mot anecdotos commenca a designer tout genre de documents non imprimes. Le terme fut utilise pour la premiere fois a Byzance dans l'?uvre Ta anecdota (Histoire secrete) de Procope de Cesaree, ecrite vers le 550 d.C., une sorte de chronique a scandales sur la vie au palais imperial. Sur l'origine de l'histoire drole en Russie [Neverdinova, 1989: 3-11; Perechodjuk, 1999: 10-14].
- Abreviation de Glavnoe upravlenie po ochrane gosudarstvennych tajn v pechati (Direction centrale pour la defense des secrets d'Etat dans le materiel imprime).
- "Stagnation". Le terme fut utilise pour la premiere fois en 1986, au XXVII congres du PCUS, par M.S. Gorbacev, pour designer la periode du gouvernement de L.I. Breznev, Premier Secretaire du Comite Central du PCUS de 1964 au 1982: "zastoj" acquiert valeur et sens en opposition a "perestrojka" (reconstruction), "glasnost'" (transparence) et "uskorenie" (acceleration), par rapport auxquels l'epoque breznevienne se montre caracterisee par stagnation et immobilite.
- Le terme andergraund, au sens large, resume toutes les manifestations de protestation a l'egard du systeme et de l'ideologie sovietique, apparues aux annees 70 au niveau clandestin. Il s'agit d'un terme anglais russifie, qui traduit en russe pourrait devenir "подпольная культура" (culture du sous-sol), opposee a une culture officielle [Anninskij, 1998: 5-10].
- "L'histoire drole est l'andergraund de la culture de masse, on pourrait dire son avant-garde".
- Pour approfondir le contexte socioculturel des annees de Breznev [Miljukov, 1999; Rogov, 1998; Vajl, Genis, 1998].
- Kommunalka - abreviation de la locution kommunal'naja kvartira, un realia du byt sovietique. Le terme indique un appartement, dans la plupart des cas exproprie apres la Revolution a ses proprietaires aristocrates, habite par plusieurs familles, chacune desquelles disposait d'une ou deux pieces selon le numero de ses membres, alors que la cuisine et les services hygieniques etaient en commun. Dans ce type d'appartements il etait impossible avoir une vraie vie privee et surtout a l'epoque de Staline, quand la pratique de la delation prenait des dimension monstrueuses, etaient frequents les cas de fausse delation de la part des habitants de la kommunalka contre les propres voisins, afin de reussir a s'emparer de leurs chambres, ce qui inevitablement poussait les gens au silence. A. Jakovlev, d'aupres une recherche dans les archives du KGB, refere par exemple d'une delation a propos d'un individu, qui aurait raconte une histoire drole sur Staline. L'homme fut arrete et fusille, alors que le delateur (un voisin) recut sa chambre comme recompense (la source de cette information est une interview accordee par A. Jakovlev au quotidien www.ilnuovo.it du 16 decembre 2000).
- "Нынешнее поколение советских людей будет жить при коммунизме" ("La generation actuelle des sovietiques vivra dans le communisme "), la phrase fut prononcee le 30 juillet 1961.
- ""(…) L'individu du Tard Socialisme percevait la representation ideologique officielle de la realite sociale comme largement fausse et en meme temps immuable et omnipresente. En telles conditions il devint insignifiant croire aux messages ideologiques officiels ou pas. Au contraire les rapports avec la representation officielle commencerent a se baser sur de strategies intriquees de support simule et sur de procedes "officieux" derriere les scenes officielles. (...)".
- " (…) Как жили! Братцы мои, как же мы хорошо жили! Водочки выпьешь, колбаской с батончиком белым закусишь, сигаретку закуришь... и никаких беспокойств о будущем, потому что партия по телевизору все уже решила: стабильность. (...) " [Veller, 1997: 103]. ("Ah les freres, quelle vie, quelle merveilleuse vie!! On se faisait un verre de vodka, on chipotait salami avec du pain blanc, on fumait une petite cigarette…et aucun souci vers l'avenir, car le parti a la tele avait deja tout decide: stabilite. (…)".
- " On defini histoire drole sovietique une variete du genre de l'histoire drole, qui existait dans la production artistique orale nationale a l'epoque du pouvoir sovietique. (…)".
- A cote de nombreuses chansons, metaanekdoty et xastuqki qui temoignent des persecutions contre les conteurs d'histoires droles, les recherches dans les archives de la societe Memorial de Moscou ont permis la decouverte de plusieurs temoignages d'individus condamnes pour avoir raconte une histoire drole et de documents attestant l'attitude des fonctionnaires de la police, charges des interrogatoires, a collectionner les histoires droles et a demander expres aux imputes de leur en raconter (Bachtin, 1998b; Erochin, 1992; Fel'dman, 1993; Ol'qanskij, 1995).
- "(…) la seule existence de l'anekdot etait consideree une indigne sequelle du passe, et l'anekdot un genre "bourgeois" avec toutes les connotations de ce mot dans la culture sovietique officielle. (…) ".
- " (…)Une gravite glaciale et une discipline de fer (…). La solennite est confirmee comme le seul mode pour exprimer tout ce qui est vital, considerable et important, et ce serieux sombre dans la peur, la veneration et la soumission. (…) ".
- " Le pouvoir, la violence, l'autorite ne parlent jamais la langue du rire. ".
- " (…) le rire est dur a controler dans un travail imaginatif. (…) ".
- "…dans le paradoxe meme, dans le retournement a l'envers de la logique de la realite quotidienne".
- " (…) raconter un anekdot sovietique a valeur en soi meme. (…) ".
- " (…) on raconte tout de suite beaucoup d'histoires droles, l'une apres l'autre et dont on se souvient selon un mecanisme associatif. (…) ".
- Sur le mecanisme associatif Barskij, 1994; Borodin, 1999c, Sedov, 1998: 6-7.
- A la lettre "sel de l'histoire drole", pourquoi l'histoire drole est amusante.
- " (…) le fonctionnement de l'histoire drole a l'interieur d'un milieu linguistique et culturel donne. Les destinataires comprennent l'histoire drole, car ils connaissent les particularites linguistiques et exterieures des personnages et les modeles cliches de la construction du texte. (…)".
- " (…) L'anekdot est une intonation particuliere, une humeur carnavalesque, qui unit les gens reunis derriere une table (dans la cuisine, dans la salle pour fumeurs, dans le coupe du train). (…) ".
- "Toutes les ethnies semblaient partager un sort commun. L'humour populaire de cette epoque frappait avant tout les membres de l'elite dirigeante en plusieurs histoires droles politiques".
- M. Krongauz [Krongauz, 1994: 223-234] decrit la dvojnost' (duplicite) de raisonnement et de pensee, a laquelle le citoyen sovietique etait contraint, en analysant la chanson de A. Galix "O tom, kak Klim Petrovix vystupal na mitinge v zaqxitu mira".
- Ici on se refere a la mythologie dans les societes contemporaines. Les mythes en question sont essentiellement politiques et par rapport a ceux ar-chaiques traditionnels ont comme protagonistes personnages reels et evenements du present ou du passe proche, ne sont pas transmis de generation en generation, mais sont crees par des groupes determines d'individus, qui se basent sur des theories scientifiques afin d'en justifier l'essor, et surtout se diffusent sous forme ecrite grace aux mass media [Toporkov, (a)].
- "Si la realite n'est pas attrayante, il faut creer le modele du avenir radieux.".
- " (…) une verite absolue, en considerant les autres points de vue dans le meilleur des cas faux, dans le pire hostiles. ".
- "Nous disons une chose, mais en sous entendons une autre", il s'agit de la deformation de l'expression originelle, tiree de V. Majakovskij, Govorim Lenin, podrazumevaem partija (nous disons Lenine, mais sous entendons le Parti).
- " - Qui est ton pere ? - demande l'institutrice a Vovocka.- Le camarade Staline !- Et qui est ta mere ?- La Patrie Sovietique !- Et qui veux-tu devenir ?- Un orphelin ! ".
- "Le pere est le camarade Staline, la mere est la Patrie sovietique".
- " (…) possede une claire orientation vers l'invention. (…) ".
- Il s'agit de recits faits par individus qui, apres le reveil d'un etat de mort cerebrale comme le coma, ont temoigne de l'experience surnaturelle vecue de voyage dans l'au-dela. Generalement tous ces recits presentent des constantes communes, comme la presence d'un guide qui conduit le vivant par le regne des morts, ou il lui montre comment les differents pecheurs sont punis par les crimes commis en vie.
- "A l'enfer on demande au guide… ", "Quand Staline arriva a l'enfer…", "Les pecheurs, a l'enfer, sont dans la merde jusqu'a la gorge…".
- "Ivan Susanin arriva au Comite Central…", "Puskin est recu par Staline…", "Le diable demande a Breznev…".
- " Apres la mort, on demande a Rabinovix, ou est-ce qu'il prefere aller: au paradis ou a l'enfer ? - Montrez-moi les deux et je choisirai - dit Rabinovix. On lui les montra.Au paradis les justes etaient assis aux pupitres et les anges leur lisaient les editoriaux des journaux. A l'enfer on buvait, jouait aux cartes, des femmes nues allaient et venaient. Rabinovix choisit l'enfer et l'on mit a frire dans une poele brulante. - Comment ca ?! - il s'ecria - vous m'aviez montre tout a fait autre chose !- C'etait notre point propagande !".
- Abreviation de agitacionnyj punkt (point propagande), institution qui operait au niveau local pour la divulgation de la propagande politique pendant les elections.
- Pour les genres du discours [Bachtin, 1986: 428-472].
- "HISTOIRE DROLE: Je dis: je veux que tu t'imagine que s'est passe X. Je pense que tu comprends que je n'affirme pas que cela s'est passe. Je le dis, parce que je veux que tu ris. Je pense que tu comprends que les gens se disent cela pour rire. ".
- Pour approfondir le probleme de la communication bona-fide cfr. Grice, 1993.
- " (…) le point de vue du destinataire qui recoit la description (lecteur, spectateur), et qui s'unit a l'auteur et avec lui accepte soit l'un soit l'autre point de vue. (…) ".
- "Je vous raconte une histoire drole…Je connais une histoire drole…Ecoutez cette histoire drole…A propos, a ce sujet il y a une histoire drole… Cette histoire drole vous la connaissez deja ?…".
- Ici on se limite a une explication generale du fonctionnement de la masque, dont on parlera de maniere plus approfondie dans le chapitre suivant, dedie a la construction du personnage.
- " (…) Il faut noter, que le conflit entre differents points de vue ideologiques est souvent utilise dans un genre particulier de la creation artistique, l'histoire drole (…) ".
- " (…) le discours d'un ou plus personnages de l'anekdot doit etre uniformise par le point de vue du conteur, c'est a dire de l'individu, qui formule le systeme des valeurs du collectif. (…) ".
- " (…) etres qui sont censes s'exprimer a travers l'enonciation, (…), s'ils "parlent", c'est seulement en ce sens que l'enonciation est vue comme exprimant leur point de vue, leur position, leur attitude, mais non pas, au sens materiel du terme, leurs paroles. (…) " [Ducrot, 1984 : 204].
- " (…) un etre qui, dans le sens meme de l'enonce, est presente comme son responsable, c'est a dire comme quelqu'un a qui l'on doit imputer la responsabilite de cet enonce. (…) " [Ducrot, 1984 : 193].
- "Il dit, il fait, il va…".
- Il s'agit d'un idiome utilise a propos des histoires droles et qui a la lettre signifie "l'histoire drole est arrivee", c'est a dire elle a ete comprise.
- Theorie semantique basee sur les script.
- " (…) Le texte, objet de parodie, se deforme. Il s'agit d'une sorte de reproduction "fausse " du prototype parodie, une reproduction avec des erreurs (…) ".
- " (…) ne pouvaient pas aligner deux mots de suite ni Staline, ni Chruscev, ni Breznev, ni leurs successeurs. N'en etaient pas capables ni les redacteurs, qui leur ecrivaient les discours, ni les secretaires d'obkom, etc. : l'incapacite de parler de maniere distincte et interessante a caracterise l'elite sovietique au cours de dizaines d'annees. (…) ".
- "Petites idees, petit srednjak, petit koulak, petit blinde".
- Il fau tout recommencer; Et les idees ou est-ce que vous ordonnez de les mettre?; quel rocher, quel grand homme!; la revolution, de la necessite de laquelle ont toujours parle les bolcheviks, s'est accomplie; nous suivront un autre chemin ; individu a l'ame de cristal; les intrigues evidents de la contre-revolution.
- " -Volodja, allons-y encore une fois!- Non, Nadjusen'ka, trois fois suffit deja. - S'il te plait, une derniere fois, sinon je ne m'endormirai pas…- Mais Nadja, il est deja tard, les voisins entendront tout. - Mais on fera en sourdine !- Et ce soit, mais seulement un murmure. Un, deux… "Les tourbillons ennemis soufflent... ". ".
- " Lenine aux toilettes:- Naden'ka, apporte-moi du papier hygienique, s'il te plait!Naden'ka cherche par toute la maison, ne trouve rien, tout a coup trouve " la Mere " de Gor'kij et l'apporte a Voloden'ka. Voloden'ka dit :- Merci, Naden'ka, un livre necessaire et qui tombe juste a propos. ".
- " Lenine et Dzerzinskij sont aux toilettes, dans des cabines contigues. Tout au coup Lenine demande a travers le mur : - Feliks Edmundovic, vous etes abonne a la Pravda ?- Non , pourquoi ?- Et sans justification, baten'ka, sans justification… du papier extremement tendre ! ".
- " - Bonjour camarade delegue, assoyez-vous! Vous etes bien sur bednjak ?- Ben, en verite Volodimir Il'ic, pas exactement, j'ai un cheval…- Ah bon, donc vous etes un sredniak !- Comment dire, Volodimir Il'ic, je mange tous les jours, mes enfants aussi, ils ont des chaussures, eh bien oui… c'est que j'ai deux chevaux…- Ah bon, donc vous etes un koulak ! Feliks Edmundovic, fusillez, s'il vous plait, le camarade ! ".
- " - Allez, Vladimir Il'ic, buvons un verre ensemble!- Non, baten'ka, je ne bois plus. Je me souviens, en avril on s'est pocharde, apres on s'est retrouve a la gare de Finlande, j'ai grimpe sur le blinde et la j'ai combine un tel bordel que jusqu'a present on ne sait pas comment en sortir ! ".
- " A une reunion de pionniers un participant au premier subbotnik raconte ses souvenirs :- On nous a conduit, Fedja et moi, de l'atelier au subbotnik, s'approche un petit barbu, grasseyant, avec une casquette et dit : "Camarades, prenez la poutre ! ". Et nous a lui "fout-toi". De ce moment-la je n'ai plus revu Fedja et moi je viens de sortir il y a un mois… ".
- "Les produits du jubile: vodka: Lenine embouteille/a Razliv ; salami: le membre du Sovnarkom; eau de Cologne: le parfum/l'esprit de Lenine; poudre: les cendres/poussiere d'Il'ic; savon: par les lieux de Lenine; soutien-gorge: par les montagnes de Lenine ".
- " Staline lit un discours. Tout a coup quelqu'un dans la salle eternue.- Qui a eternue ? (silence)- Premier rang, levez-vous ! Fusiller ! (vifs applaudissements)- Qui a eternue ? (silence)- Deuxieme rang, levez-vous ! Fusiller ! (longue incessante ovation)- Qui a eternue ? (silence)- Troisieme rang, levez-vous ! Fusiller ! (vive ovation de toute la salle, tout le monde se leve, exclamations "gloire au grand Staline!")- Qui a eternue ?- Moi, c'est moi qui a eternue !!- A vos souhaits, camarade ! ".
- " Trois prix ont ete offerts pour le meilleur projet de monument a Puskin. Le troisieme prix est recu par le projet "Staline lit Puskin". - C'est historiquement correct, dit Staline, mais pas politiquement: c'est ou la ligne generale ?Le deuxieme prix est recu par le projet "Puskin lit Staline". - C'est politiquement correct mais pas historiquement: a l'epoque de Puskin le camarade Staline n'avait pas encore ecrit de livres.Le premier prix est recu par le projet "Staline lit Staline" ".
- " Apres avoir rebaptise Stalingrad en Volgograd de l'au-dela arriva un telegramme : " Je suis d'accord. Iosif Volgin " ".
- Le nom est d'origine tatare et derive de Cari Cu "sable blanche".
- " Kennedy, assassine, arrive dans l'au-dela. Il ouvre la porte et, terrorise, se jette de cote, car derriere la porte il y a Staline avec une hache levee. - Ne crains pas, entre, c'est pas toi que j'attend ! ".
- Montrer de quel bois on se chauffe.
- "Chruscev visite une exposition d'art au Manege: - C'est quoi ce carre idiot avec des points rouges autour?- C'est une usine sovietique avec les travailleurs qui se precipitent au travail!- Et ce treillis barbouille de jaune et vert?- C'est un kolkhoz ou murit le mais!- Et ce monstre bleu?- C'est la "Nue" de Fal'k.- Val'ka nue? Mais qui voudrait draguer cette Val'ka-ci? Et c'est quoi ce cul aux oreilles?- Mais ca... c'est un miroir, Nikita Sergeevic!".
- " Quelle est la difference entre un lapin et Chruscev ?- Le lapin n'aime pas baguenauder ! ".
- " - Comment combattre la calvitie ? - Radio Armenie ne repond pas aux questions politiques. Cela concerne aussi la question envoyee "Peut un cochon etre chauve ?".
- "- Oncle Vo, - disent les octobrins vietnamiens a leur visiteur Vorosilov, - portez nos salutations a la tante Fu et a l'oncle Chrju!".
- " - Pourquoi Chruscev a ete destitue ?- Pour le sept "c" : culte, communisme, mais, Chine, crise cubaine et montrer de quel bois on se chauffe".
- " - Qu'est-ce qu'il y a en commun entre Chruscev et le vaisseau spatial Voschod-1 ?- Ils se sont envoles presque au meme temps. ".
- "Systematiquement, pessimiste, communiste, pays socialistes".
- " - Chere Indira Gandhi!- Leonid Il'ic, Leonid Il'ic, ce n'est pas Indira Gandhi !- Chere Indira Ghandi !-Leonid Il'ic, mais ce n'est pas Indira Gandhi!- Et c'est qui ? - C'est Margaret Thatcher !- Je sais, que c'est Margaret Thatcher, mais ici est ecrit " Chere Indira Gandhi !". ".
- "Bre
- - А, Тарковского, знаю...". " - C'est quoi cette casserole avec les poignees?- C'est un miroir, Leonid Il'ic !- Ah, Tarkovskij, je le connais… ". Les deux anekdoty font allusion au film "Le miroir" de A. Tarkovskij et sont des variantes du meme anekdot cite dans le paragraphe precedent a propos de Chruscev.
- " Breznev lit le discours de bienvenu aux athletes aux jeux olympiques de 1980:- O !O !O !Son redacteur lui susurre: - Ces ne sont pas des " O " mais les cercles olympiques ! Le texte est plus en bas ! ".
- ... ca aussi est de la serie d'anekdoty ou Breznev lit sur la feuille et lit :- OXOXOXO !- Excusez nous, Leonid Il'ic, on jouait a tris ! ".
- " Breznev prononce un discours a la radio : - Par Moscou circule la voix que a ma place on transporte une poupee. J'affirme avec responsabilite : c'est une calomnie ! A la place d'une poupee, c'est moi qu'on transporte ! ".
- " - Quel est le surnom de Breznev ?- Sourcilleur dans les tenebres ".
- " - Qu'est-ce que c'est une "piquette a cinq etoiles" ?- Breznev".
- Pour approfondir le cycle sur Capaev [Lur'e V., 1991; Terc, 1978; Cirkova, 1997: 63-77].
- [Anonyme, 2000].
- "…tous ces heros sont sortis du manteau de Xapaev".
- La source de cette information est une interview a A.F. Belousov, 1 Mars 2000, Saint Petersbourg.
- "Quelqu'un m'a raconte que ces anekdoty les a commence a composer quelqu'un a l'etranger. Peut-etre quelqu'un des dissidents". Interview a O. A. Tol'maxeva, philologue, 29 fevrier 2000, Saint Petersbourg.
- " .. foute ta mere! - dit Capaev et apres il jura comme un paien. "
- "-Tu est bien (idiot), Capaev ! > Et je suis aussi (fort), Pet'ka ! ".
- " A l'examen oral a l'Academie militaire on demande a Capaev, quels sont les documents qu'on remet aux delegues. Capaev se tait embarrasse. Kotovskij, en se couvrant par le paume, lui suggere :- Mandats !- Et toi, Grigorij Ivanyc, - commence a s'echauffer Capaev - si on te coupe les oreilles, toi tu ressemblera a une bitte ! ".
- " - Vasilij Ivanyc, on a porte le blanc !- Combien de boites ? ".
- " Capaev demande a Furmanov :- C'est qui sur le toit ?- C'est Pet'ka qui tend/fornique l'/avec antenne.- Chmm, Antenne, quel joli prenom… ".
- " - Vasilij Ivanyc, Gol'fstrim s'est congele !- Combien de fois je dois le repeter: n'envoyez pas les juifs dans le service secret ! ".
- " -Pet'ka, c'est ou Anka ?- Elle est au lit avec l'appendicite !- Appendicite au mur et Anka a moi ! ".
- " Pet'ka se precipite chez Capaev :- Vasilij Ivanyc, les notres viennent d'arreter Ali Baba et les quarante brigands!- Distribue Ali et les quarante brigands par les detachement et la femme a moi ! ".
- A propos du cycle sur Stirlic [Belousov, 1995].
- " Stirlic se promenait par la foret. Vers lui avancent deux filles tres maquillees. - Des trainees - pensa Stirlic.- Le colonel Isaev - penserent les trainees. ".
- " Stirlic entra dans sa taverne habituelle. Il ordonna une portion de viande. On lui apporta la viande. Stirlic prit le couteau dans la main gauche et la fourchette dans la droite. Il savait qu'on doit tenir la fourchette dans la main gauche et le couteau dans la droite, mais il voulait au moins pour une minute etre soi-meme. ".
- Chapeau avec l'etoile rouge, typique des soldats de l'Armee Rouge.
- Traditionnelle chemise russe, boutonnee sur le cote.
- " Muller surprend Stirlic en train de lire la Pravda. - Il s'interesse de politique… - pensa Muller ".
- " Stirlic entra dans une chambre sombre. Tout a coup de l'obscurite retentit la voix de Muller :- Stirlic n'allumez pas la lumiere !- De nouveau le shabbat ! - pensa Stirlic. ".
- " Stirlic souleva les yeux de l'asphalte. C'etaient les yeux du professeur Plejsner. ".
- " Stirlic se promenait par la rue. Il voyait comment deux agents SS mettaient le tank verticalement.- Pauvre pasteur ! - pensa Stirlic. ".
- " Stirlic se promenait pour le Berlin nocturne. Tout a coup il entendit des pas. Apres avoir sorti le pistolet et sans se detourner, il tira a l'aveuglette. L'aveugle deceda. ".
- " Stirlic sortit de l'eau et se coucha sur le galet. Svetka se vexa et s'en alla ".
- " Il s'agit d'un jargon frauduleux, deshonnete. Parce que son lexique et sa construction syntactique se presentaient comme une sorte de rideau de fumee, parfaitement indique a voiler la verite. Comme tout ce qui est lie au modele de vie bureautique il etait appele a servir l'illegalite. ".
- La celebre affirmation de Staline au congres des stakhanovistes zit' stalo lucse, zit' stalo veselee (la vie est devenue meilleure, la vie est devenue plus gaie) signa pour les sovietiques le debut de l'ere du bonheur d'Etat.
- " (…) choix de selections des circonstances qui attribuent une propriete donnee a un sememe, au meme temps en ignorant ou en cachant les autres proprietes contradictoires, qui peuvent egalement etre attribuees au sememe a cause de la nature non lineaire et contradictoire de l'espace semantique. ".
- "…ni de communiquer une information nouvelle, ni de contribuer a l'emersion de la verite, mais il s'agissait seulement d'un modele rituel.".
- " (…) un bref texte ecrit (en general une simple phrase), qui exprime " une idee maitresse, un devoir, une demande " (BSE, 3eme edition), presente dans un format suffisamment accessible a la perception de masse et place dans n'importe quel lieu publique (rue, place ou chaussee, entreprise, club, etc.). ".
- "Les metaphores politiques ne sont pas de simples figures du discours, destinees a une prose fleurie et au langage figuratif, mais elles sont des dispositifs cognitifs pour la formation et la communication des conceptualisations de la realite. La metaphore fonctionne a travers l'appropriation d'un champ de connaissances considere comme allant de soi et son application a un autre (c'est a dire a la politique).".
- " … pour l'oreille habituee aux canonnades de l'Octobre cette phraseologie n'etait rien de plus qu'un ensemble de sons sans sens… ".
- " (…) Un code de base etabli qu'une certaine combinaison grammaticale est comprehensible et acceptable et une certaine regle rhetorique suivante (…) etabli que cette combinaison syntagmatique doit etre utilisee dans des circonstances specifiques avec une connotation stylistique donnee. ".
- A une reunion de kolkhoz, dediee a la competition avec l'Amerique, un vieillard prend la parole:- On peut les rejoindre, pourquoi pas, mais la les depasser n'a aucun sens: ils verront les pieces sur nos culs ! ".
- Un cukca rentre a la maison apres le congres du parti.- Alors, qu'est-ce qui c'est passe ? - on lui demande.- On repetait tout le temps " tout pour l'homme, tout au nom de l'homme… " et moi je l'ai vu cet homme ! ".
- " Telegramme : " Moscou, Kremlin, Lenine. Camarde Lenine, aidez un pauvre juif ! Rabinovic.". Le jour suivant Rabinovic est convoque la ou il faut - Vous etes fou ? Vous ne savez pas que Lenine est mort il y a longtemps ?- Oui, oui, c'est toujours comme ca : quand il vous faut, il est vif pour l'eternite mais si un pauvre juif en a besoin, alors il est mort il y a longtemps ! ".
- " Marx, en URSS, veut lire un discours a la radio.- Bien que vous soyez le fondateur du communisme - lui dit Breznev - je ne peux pas prendre cette decision tout seul, nous avons une direction collective !- Je dis seulement une phrase ! Breznev lui permet de dire une seule phrase. Marx s'approche du microphone et crie : - Proletaires de tous les pays, pardonnez-moi ! ".
- " Placard dans une Academie d'artillerie: notre but/cible est le communisme! ".
- Le deictique est une unite linguistique qui sert a renvoyer a des elements de la realite non linguistique en s'appuyant sur les donnes de la situation, ou se produit l'enonce.
- " Placard dans l'immeuble du obkom: qui ne travaille pas chez nous ne mange pas. ".
- Hyponymie et hyperonymie sont deux possibles relations semantiques entre unites lexicales, occupant une position intermediaire entre synonymie et antinomie. Selon hyponymie un terme par son extension inclut l'autre, alors que l'hyperonymie est exactement l'inverse. Dans l'exemple cite paralic (paralyse) est hyponyme de celovek (homme), vice versa celovek est hyperonyme de paralic.
- " Les travailleurs des hopitaux en colonne portent un placard: "Les paralyses sovietiques sont les plus progressifs du monde ! ".
- " Concours pour le meilleur livre sur les elephants. Les allemands ont presente l'?uvre capitale en trois volumes " Introduction a la science sur les elephants ". Les americains un livre de poche " Ce que doit savoir l'americain moyen sur les elephants ". Les juifs " Les elephants et la question juive ". Les bulgares " L'elephant bulgare : le petit frere du elephant sovietique ". Les russes " La Russie : la patrie des elephants " et " L'elephant sovietique est le plus consciencieux au monde ". ".
- " - Quelle est la cause des incendies de tourbes aux alentours de Moscou ?- Breznev a dit : " que la terre brule sous les pieds des alcoolises ! " ".
- " - Comment Chruscev a change la formule leniniste du communisme ? - Le communisme est le pouvoir sovietique plus la "maisification" de tout le pays. ".
- " - Qu'est-ce que c'est le communisme a la chinoise ?- Le pouvoir sovietique plus la sterilisation de tout le pays.".
- " -Qu'est ce que c'est le pouvoir sovietique ?- Le pouvoir sovietique est le communisme moins l'electrification de tout le pays. ".
- " Si Lenine du point de vue de son aspect exterieur, de sa forme ne correspondait pas aux representations traditionnelles du chef, dans les actes pratiques, au contraire, le principe de l'excellence, de sa conviction personnelle que la verite se trouve a sa disposition, se manifestaient avec force extraordinaire et consecution. ".
- " - Naden'ka, encore une fois quelqu'un a chie sur le gazon! Combien de fois je l'ai deja dit, a ces delegues de campagne il faut veiller !- Aucun delegue n'est venu, Volodja. Seulement Aleksej Maksimivoc est venu…- Mais alors c'est lui, Aleksej Maksimovic ! Une telle pierre milliaire, une telle puissance humaine !".
- " Pour son anniversaire Lenine recoit en cadeau un pot avec des fleurs. Il coupe les fleurs et tend le pot a son secretaire :- Et la terre, donnez-la aux paysans! ".
- " - Vous travaillez tout le temps, Vladimir Il'ic. Vous devriez vous reposer, aller a la campagne avec des filles !- Exactement ca, baten'ka, avec les fil-les ! Et pas avec cette prostituee politique de Trockij ! ".
- " (…) le texte du folklore emprunte sujets, motifs, dimensions et genres a la litterature, en cherchant a les assimiler le maximum possible, en aucun cas sans se soucier de demontrer sa source. (…) ".
- " (…) Le perevertys est le resultat de la transformation du sens traditionnel et initial d'une unite folklorique (par exemple le proverbe) a travers la transformation de ses elements particuliers ou son insertion dans un contexte autre. (…) ".
- "… les expressions de la langue sovietique ideologique communiquent un message a propos de comment il faut juger les faits plus que sur les faits en soi.".
- " A Rabinovic on donne la permission de partir en voyage par les pays des democraties populaires. Il envoie des telegrammes :"Salut de la libre Bulgarie. Rabinovic""Salut de la libre Roumanie. Rabinovic""Salut de la libre Hongrie. Rabinovic""Salut de l'Autriche. Rabinovic libre" ".
- " Quand est-ce qu'ont eu lieu les premieres elections sovietiques?- Quand dieu a amene Eva devant Adam en lui disant " choisi ta femme " ! ".
- " - C'est pour quoi cette queue? - demande un etranger.- On donne le beurre.- O ! Chez nous on le vend seulement! Et la c'est pour quoi la queue ?- On jette les bottes !- Lesquelles ? Celles-ci? Chez nous aussi celles-ci on les jette! ".
- " - Le soleil a disparu a l'horizon!- Pour quoi ? ".
- " - C'est qui les gens qui vont avec nous ? - demande un etranger sur un autobus bonde.- Ils sont les maitres du pays.- Et c'est qui a passer ? - il indique une cajka qui vient de les depasser.- Ah, eux ils sont les serviteurs du peuple ! ".
- " NEP. Rabinovic est invite a la CK:- Nous sommes en train de construire le socialisme mais nous avons des difficultes financieres. Nous comptons sur vous, camarade Rabinovic. Probablement vous avez de l'or cache. Donnez-le nous !- Je dois demander a ma femme. Le lendemain on l'invite a nouveau:- Qu'est-ce qu'elle a dit votre femme, camarade Rabinovic ?
- - Elle a dit " Qu'ils ne construisent pas. Moi je n'ai pas d'argent non plus et alors je ne construis pas ! ". "Nous construisons un nouveau monde, notre monde/Qui n'etait personne, deviendra qui il voudra ! ".
- " - Il s'agit pour sur de parfum de l'ouest en putrefaction?- Il sera meme en putrefaction mais quel parfum ! ".
- "- Qu'est-ce que c'est les menottes?- Les liens de l'amitie fraternelles.- Et qu'est-ce que c'est le tank ?- L'ambulance de l'aide fraternel urgent. ".
- "L'aide de la part de l'URSS aux pays du Pacte de Varsovie et du Troisieme Monde (d'orientation prosovietique). ".
- " Staline fait le tour de la prison. Il demande:- Ou se trouvent les criminels les plus terribles, les bandits, les violeurs, les assassins ? - Dans l'autre couloir ! - on lui repond. Ils se dirigent la bas. Staline dit:- Bonjour bandits, violeurs, assassins !- Bonjour cher chef et maitre absolu ! ".
- "Si dans le vieux regime il y avait le temps et la patience pour dire "Le comandant de la cinquieme armee" maintenant, au contraire, a peine on arrive a articuler un rapide "Komandarm 5". Et c'est tout. Bref. Et sans doute beau. Et quoi qu'il n'en soit, la revolution n'a jamais eu le temps de s'occuper de la musicalite de la formation de nouveaux mots.".
- " URSS - on s'est fait esclaves par nos propres mains. Staline est assis au milieu des decombres. Chasse Staline, sauve la Russie. ".
- " - Quelle est la difference entre un canard ordinaire et un journalistique ?- Le premier on l'appelle tas' tas' tas' et le deuxieme TASS TASS TASS. ".
- " - Quelle est la difference entre les homosexuels et les secretaires generaux ?- Les premiers s'embrassent secretement, alors que les deuxiemes le font a l'aeroport devant tout le monde !".
- " - Quelle est la difference entre le langage obscene et la materialisme dialectique ?- Le langage obscene le connait tout le monde mais tous font semblant de ne pas le connaitre. Le materialisme dialectique ne le connait personne mais tous font semblant de le connaitre. Les deux sont une arme puissante dans les mains du proletariat. ".
- "Une expression u est appropriee du point de vue contextuel si toutes les presuppositions de u sont identiques ou compatibles avec les presuppositions du contexte C dans lequel u st exprimee (…). ".
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